Lors de son quatrième mandat de président, Paul Kagame, l’homme fort du Rwanda depuis 30 ans, devra s’employer à pérenniser la croissance du pays, apaiser les relations avec la RDC, voire préparer sa succession, estiment des experts.
– La question congolaise –
Les relations historiquement houleuses entre le Rwanda et sa grande voisine, la République démocratique du Congo (RDC), se sont dégradées depuis la résurgence de la rébellion du M23 fin 2021, qui a conquis des territoires dans l’Est congolais. Kinshasa accuse l’armée rwandaise (RDF) de combattre aux côtés du M23.
Un rapport d’experts de l’ONU affirme que « 3.000 à 4.000 militaires rwandais » combattent avec les rebelles et que les RDF ont « de facto » pris « le contrôle et la direction des opérations du M23 ».
Sans démentir formellement la présence de troupes, Paul Kagame a toujours fait valoir une posture « défensive ».
« De plus en plus d’études démontrent que le modèle de développement rwandais s’est fortement adossé à l’accès illicite aux ressources naturelles dans l’Est de la RDC », notamment les minerais, explique le directeur pour l’Afrique de l’Est à l’Institut des études de sécurité (ISS), Paul-Simon Handy, évoquant une « dépendance nocive porteuse de conflit ».
« Il va falloir travailler avec les autres pays, RDC, Ouganda, Burundi, à un modèle d’économie dans cette région qui fasse que le coût de la prédation soit perçu comme plus élevé qu’une coopération », estime-t-il.
« Le dialogue est la seule option », juge aussi Ismael Buchana, maître de conférences en sciences politiques à l’Université du Rwanda.
Jusqu’à présent, toutes les tentatives de médiation se sont révélées infructueuses.
– Un modèle économique à renouveler –
Ruiné après le génocide de 1994, le Rwanda a connu un spectaculaire développement.
Son PIB a été multiplié par plus de six entre 2000 et 2022. Cette croissance économique s’est accompagnée de progrès socio-économiques (espérance de vie, mortalité infantile…) et d’infrastructures (routes, électricité, hôpitaux…).
Mais aujourd’hui, « le modèle qui a présidé à la croissance du Rwanda après le génocide montre ses limites », estime Paul-Simon Handy.
Cette croissance, stabilisée autour de 7%, est largement dépendante des aides internationales, qui ont baissé depuis une dizaine d’années en raison des crises autour du M23, et de l’État rwandais, dont la dette publique représente 69,9% du PIB en 2024, selon le Fonds monétaire internationale (FMI).
Le défi est grand pour ce pays enclavé, sans ressources naturelles ni base industrielle, qui veut s’orienter vers une économie de services, à l’image du port sec de Masaka, développé par le géant emirati de la logistique DP World.
A lire: Rwanda: Paul Kagame vers un plébiscite à plus de 99%
Le Rwanda est confronté à de nombreux défis. « Chômage croissant, inflation, éducation, pauvreté… », énumère Louis Gitinywa, avocat et analyste politique rwandais: « Tout ceci est une bombe à retardement ».
Loin de l’image moderne de Kigali, la pauvreté reste présente: en 2024, près d’un Rwandais sur deux (48,4%) vit avec moins de 2,15 dollars par jour, selon la Banque mondiale.
Le taux de chômage des jeunes, qui constituent la majorité de la population, était de 16,6% au premier trimestre 2024, selon les statistiques officielles.
– L’épineuse question d’une succession –
Paul Kagame répète qu’il demande depuis 2010 à son parti, le FPR, de lui trouver un successeur. Mais il est toujours aux commandes et de nombreux Rwandais n’imaginent pas d’autre dirigeant.
La question de sa succession a été reportée par la révision constitutionnelle de 2015 qui lui a permis, après avoir atteint la limite de deux septennats, de se présenter à un nouveau septennat (2017-2024), avant de pouvoir briguer deux quinquennats (2024-2029, 2029-2034).
« C’est une chose qu’il doit prioriser pour cimenter et solidifier ses réalisations », estime Ismael Buchana.
« C’est toujours inquiétant lorsque la vie politique et économique d’un pays est autant dépendante d’une personne », estime Paul-Simon Handy, pour qui cette succession « sera un véritable test » pour le Rwanda.
Le 13 juillet, Paul Kagame a rejeté l’idée de « désigner » un successeur ou d’en « former » un.
Pour l’instant, aucune figure n’émerge au sein du FPR.
Certains observateurs évoquent la possibilité d’une succession familiale avec sa fille Ange, qui travaille depuis des années dans les cercles gouvernementaux et est l’un de ses conseillers, ou certains de ses fils, comme Ivan, qui siège au conseil d’administration du Rwanda Development Board, et Ian, membre de la garde présidentielle.
Source: Agence France-Presse Aucune étiquette pour cette publication.