Le projet d’une coalition européenne d’instructeurs militaires pour former les troupes ukrainiennes en Ukraine, souhaité par la France, est discuté entre Européens mais apparaît loin d’être finalisé, de nombreux pays s’interrogeant sur ses conséquences vis-à-vis de Moscou.
« Il n’y a pas d’initiative formelle à ce stade. Des réflexions préliminaires sont en cours », a déclaré vendredi à l’AFP une source gouvernementale, alors que les spéculations vont bon train sur la possibilité qu’Emmanuel Macron l’annonce la semaine prochaine à l’occasion d’une visite en France de son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky.
A l’Elysée comme au ministère des Armées, on rappelle que la formation sur le sol ukrainien fait partie des chantiers discutés depuis une conférence sur le soutien à l’Ukraine fin février à Paris.
L’objectif est de gagner en efficacité et de former directement sur le sol ukrainien au déminage ou à la maintenance des équipements militaires envoyés à Kiev, fait valoir une source diplomatique.
Une telle réorganisation permettrait « d’intégrer les retours d’expérience plus vite, de former plus de monde, donc d’améliorer la qualité et la quantité », souligne Elie Tenenbaum, de l‘Institut français des Relations Internationales (IFRI).
C’est aussi une manière de signaler à Moscou « qu’on est prêt à prendre davantage de risques, c’est un engagement pour durer ».
Officiellement, « cette piste continue de faire l’objet de travaux » et rien n’est finalisé, a répété vendredi le ministre français des Armées Sébastien Lecornu à l’antenne de la radio France Info.
– Prochainement ? –
Mais lundi, Kiev a jeté un pavé dans la marre en annonçant que des instructeurs français se rendraient « prochainement » en Ukraine pour former les troupes ukrainiennes. Avant de rétropédaler et d’indiquer être toujours « en discussions avec la France et d’autres pays sur cette question ».
« J’aurai l’occasion, lorsque le président Zelensky se rendra en France à l’occasion du D-Day la semaine prochaine, (…) de m’exprimer très précisément pour annoncer ce que nous allons faire », avait réagi mardi Emmanuel Macron depuis l’Allemagne.
« Mais je ne ferai pas de commentaire sur ce qui a été des communications non coordonnées et malheureuses », avait-il ajouté.
Pour plusieurs sources proches du dossier, le dérapage de Kiev relevait plutôt d’un exercice de communication contrôlé pour tester les réactions étrangères alors que « le sujet est bien avancé ».
La France souhaiterait l’envoi d’instructeurs français dans un cadre européen. Elle s’efforce de rallier d’autres Etats-membres, comme les pays baltes.
La semaine dernière, le ministre lituanien des Affaires étrangères Gabrielius Landsbergis avait évoqué sur la chaîne française LCI la possibilité de renvoyer en Ukraine les instructeurs qui s’y trouvaient avant l’invasion russe.
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« La Lituanie est prête à rejoindre une coalition menée par exemple par la France, qui ferait la formation des soldats en Ukraine », avait-il assuré.
Son homologue polonais Radoslaw Sikorski a pour sa part montré sa réticence vendredi lors d’une réunion de l’Otan. « Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il serait à la fois plus sûr et plus efficace de former en Pologne une unité ukrainienne composée d’Ukrainiens (…), a-t-il déclaré.
Selon des sources européennes informées du dossier, les Français peinent à convaincre d’autres pays, comme la Grande-Bretagne, déjà sur le terrain avec des « formateurs ».
Au sein de l’UE, il n’y a pour l’instant « pas de consensus » pour envoyer des instructeurs militaires, avait résumé mardi Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne.
De sources diplomatiques européennes, on souligne que le chancelier allemand Scholz s’était clairement exprimé contre cette idée fin février et que sa position semble inchangée.
– Casus belli ? –
D’autres pays sont hésitants, s’interrogeant notamment sur la réponse à apporter si la Russie venait à cibler des formateurs d’une telle coalition, selon des sources militaire et proche du dossier.
Mardi, le président russe Vladimir Poutine avait, lui, affirmé que ces instructeurs étaient « déjà là », en Ukraine, « sous l’apparence de mercenaires ».
Pour François Heisbourg, conseiller à l’International Institute for Strategic Studies (IISS), à Londres, « on est dans la levée d’un tabou parce qu’on officialise un état de fait ».
« C’est tout à fait comparable à ce que faisaient les Russes, les Américains et les Français pendant la Guerre froide », dit-il. « Ca n’a jamais été considéré comme un casus belli par personne. »
« Le déploiement de forces de conseil et d’actions de formation pour un état souverain ne constitue pas un geste de belligérance », abonde Elie Tenenbaum. « L’Ukraine est souveraine sur son territoire et elle y fait ce qu’elle veut. »
La question est plutôt de savoir quelles seraient les conséquences « si nos soldats étaient amenés à tirer sur des Russes et à les tuer », estime François Heisbourg. « Cela serait probablement escalatoire ».
Source: Agence France-Presse Aucune étiquette pour cette publication.