Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s’est vanté que son pays ait « réglé ses comptes » avec Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah tué par une frappe israélienne au Liban, mais selon des experts, les assassinats ciblés de ce genre sont une arme à double tranchant.
Loin d’apporter un répit aux Israéliens, l’assassinat de Nasrallah semble avoir eu pour première conséquence l’attaque massive aux missiles déclenchée mardi soir par la République islamique d’Iran contre Israël pour venger son protégé au Liban, et un général iranien tué avec lui. Israël a promis de riposter alors que le monde regarde impuissant le Moyen-Orient s’enfoncer un peu plus dans le chaos.
Le Hezbollah, mouvement islamiste libanais créé en 1982 avec l’aide de Téhéran dans le sillage de l’invasion du Liban par l’Etat hébreu, a été ébranlé par d’intenses frappes israéliennes ces dernières semaines qui ont décapité sa direction, à commencer par son chef charismatique, tué vendredi dans un bombardement massif sur un de ses fiefs dans la banlieue sud de Beyrouth.
Le prédécesseur de Nasrallah, Abbas Moussaoui, avait lui aussi été tué par un raid israélien sur son convoi au Liban, en février 1992. Nasrallah, promu secrétaire général du « Parti de Dieu » à sa suite à l’âge de 32 ans, a utilisé cette position pour se transformer, selon les mots de M. Netanyahu, « non pas en un terroriste parmi d’autres », mais pour devenir « LE terroriste ».
En 2008, Imad Moughniyeh, alors chef militaire du Hezbollah, avait été tué dans un attentat à la voiture piégée à Damas, imputé à Israël. Cette attaque, n’avait pas plus « affaibli irrémédiablement les opérations militaires du Hezbollah », estime David Wood, analyste de l’International Crisis Group, « au contraire ».
Créé en 1948, l’Etat d’Israël a eu recours aux assassinats ciblés contre ses ennemis dès les premières années de son existence, mais la pratique a gagné en puissance après la prise d’otage lors des Jeux olympiques de 1972 à Munich, où onze athlètes israéliens ont été tués par un commando de l’organisation palestinienne Septembre noir.
– « Colère de Dieu » –
En représailles, Israël a mené une opération baptisée « Colère de Dieu », au cours de laquelle les chefs de Septembre noir et des dirigeants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) seront tués en Italie, en France et à Chypre.
La politique des assassinats ciblés est souvent expliquée par un passage du Talmud, l’un des textes fondamentaux du judaïsme rabbinique, cité samedi par M. Netanyahu: « Face à celui qui vient te tuer, lève-toi et tue le premier ».
Elle s’est développée au fil des décennies, avec des frappes israéliennes ciblant un certain nombre de membres ou dirigeants du Hamas et du Hezbollah, ainsi que quelques maladresses.
En 1997, une tentative d’empoisonnement infructueuse, à Amman, de Khaled Mechaal, alors chef du mouvement islamiste palestinien Hamas, a ainsi entraîné une détérioration des relations entre Israël et la Jordanie, quelques années seulement après la signature d’un traité de paix entre les deux pays.
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Israël s’était alors retrouvé contraint de relâcher le chef spirituel du Hamas, Ahmad Yassine, incarcéré depuis plusieurs années, en échange de la libération des deux agents du Mossad (services secrets extérieurs israéliens) arrêtés par la Jordanie après leur opération manquée.
La guerre déclenchée le 7 octobre par l’attaque sanglante du Hamas contre Israël à partir de la bande de Gaza, a donné lieu à l’assassinat de chefs d’organisations hostiles à l’Etat israélien, notamment celui du Hamas, Ismaïl Haniyeh, tué à Téhéran le 31 juillet, et de Fouad Chokr, chef militaire du Hezbollah tué la veille à Beyrouth, avant Nasrallah le 27 septembre.
Israël a revendiqué l’assassinat de Chokr, et fait figure de suspect numéro pour celui de Haniyeh, mais n’en a pas endossé la responsabilité.
– « Démolition massive » –
Aux yeux de John Hannah, de l’Institut juif américain pour la sécurité nationale, si Israël a laissé le Hezbollah et le Hamas accumuler des arsenaux menaçants pendant des années, les récents assassinats montrent que la « prévention » est « revenue en force dans la doctrine de sécurité nationale d’Israël », dit-il.
Le pays « est maintenant engagé dans une entreprise de démolition massive des capacités militaires du Hamas et du Hezbollah », souligne-t-il. Et ce malgré le risque de tensions croissantes avec les Etats-Unis, premier allié et soutien militaire d’Israël, qui se sont engagés, en pure perte, dans une succession de médiations en vue d’obtenir un cessez-le-feu à Gaza et au Liban.
L’armée israélienne a lancé lundi une offensive au sol dans le sud du Liban contre le Hezbollah, qui a ouvert un front dès le 8 octobre contre Israël, en soutien au Hamas dans la bande de Gaza. L’objectif annoncé par Israël est d' »éliminer la menace » qui pèse sur le nord du pays et de permettre le retour chez des plus de 60.000 Israéliens déplacés à cause des tirs de roquettes du Hezbollah.
Yossi Melman, journaliste couvrant les questions militaires pour le quotidien israélien de gauche Haaretz, estime néanmoins que la mort de Nasrallah ne changera la donne que si elle est suivie d’efforts diplomatiques sérieux pour mettre fin aux hostilités.
Dans le cas contraire, dit-il à l’AFP, « le Hezbollah, malgré les coups durs qu’il a subis, continuera de viser » le nord d’Israël et, pendant ce temps, les déplacés « ne reviendront pas ».
Source: Agence France-Presse