L’interdiction de séjour dans le département du Mfoundi a créé une onde de choc au sein de la population. Les réactions sont grandes.
L’arrêté signé par Emmanuel Mariel Djikdent, préfet du département du Mfoundi et rendu public le 16 juillet 2024, qui « interdit de séjour pour une durée déterminée, toute personne accusée d’appeler au soulèvement contre les institutions de la République, de proférer des outrages graves envers celles-ci ou celui qui les incarne ou de mener des manœuvres susceptibles d’entraîner de troubles graves à l’ordre public dans le département du Mfoundi, dont est rattachée Yaoundé, la capitale….. », a déclenché une vague de réactions. Leaders politiques, acteurs de la société civile. Chacun y est allé avec leurs mots.
Pour l(honorable Cabral Libii, «ni la loi de 1990 relative au maintien de l’ordre, ni le décret de 2008 fixant les attributions des chefs des circonscriptions administratives (…) ne donnent au préfet le pouvoir d’interdiction de séjour temporaire à un citoyen dans un département du Cameroun. Ce pouvoir n’existe pas même en cas d’état d’urgence », a déclaré sur sa page Facebook le député de la nation.
Sylvie Jacqueline Ndongmo est actrice de la société civile : «nous exprimons nos préoccupations quant aux implications potentielles de telles mesures sur nos libertés constitutionnelles et l’ordre public dans un pays où la paix et la cohésion sociale sont déjà mises à rude épreuve du fait de nombreux défis sécuritaires et problèmes sociaux dont la vie chère.
1-Bien que nous reconnaissions la nécessité de maintenir l’ordre public et de protéger nos communautés, nous devons être vigilants pour défendre les valeurs constitutionnelles inscrites dans les amendements de 1972, 1996 et 2008 de notre Constitution. Restreindre la liberté de mouvement et d’expression doit être abordé avec la plus grande prudence afin de s’assurer que cela ne sape pas les principes mêmes de démocratie et de justice qui forment la base de notre nation.
2- Nous exhortons les autorités à considérer les impacts plus larges de cet arrêté et à engager un dialogue avec les communautés concernées. C’est par le dialogue, la compréhension et le respect de nos valeurs constitutionnelles que nous pourrons véritablement garantir la paix et la stabilité dans notre pays », a écrit la Présidente Internationale de Women’s International League for Peace and Freedom (Wilpf).
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Le Professeur Moïse Timtchueng, fait plutôt une analyse froide : « ceux qui prétendent que le préfet du Mfoundi a agi en vertu de ses pouvoirs de garant du maintien de l’ordre public doivent avoir l’honnêteté de dire que le maintien de l’ordre n’est pas une attribution discrétionnaire ou arbitraire. Il est, comme toutes les prérogatives susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux, encadré par les textes. L’arrêté du préfet du Mfoundi tend en effet à mettre en péril des libertés fondamentales consacrées par la Constitution du Cameroun, laquelle constitution reconnait dans son préambule à chaque personne, entre autres, la liberté de mouvement, c’est-à-dire celle d’aller et venir partout où bon lui semble, la liberté d’opinion (y compris politique, dont d’émettre un jugement de valeur sur la manière dont le pays est gouverné), et la liberté d’expression qui autorise chacun à dire ce qu’il pense. Par définition, une liberté fondamentale est une prérogative qui doit s’exercer de la manière la plus naturelle possible. Elle ne peut subir de limites que de manière exceptionnelle, dans les cas et conditions clairement définis par la loi, et spécialement lorsqu’il y a un péril grave qui menace l’existence même de l’Etat, son indépendance, son intégrité territoriale, le fonctionnement ordinaire des institutions ou lorsque la vie de la population est en jeu comme dans le cas de la pandémie à covid-19 que nous venons de traverser. Voilà pourquoi les circonstances pouvant justifier des restrictions à l’exercice des libertés fondamentales se limitent généralement à 4 évènements : un conflit armé, une catastrophe naturelle ou accidentelle, une menace terroriste ou une pandémie comme la covid-19.Alors, si justement, l’article 36 du décret de 2008 fixant les attributions des chefs de circonscriptions administratives confère effectivement au préfet le pouvoir de veiller au maintien de l’ordre, il faut surtout relever que l’article 40, alinéa 1er du même texte par exemple précise que le préfet dispose des forces de police, de la gendarmerie et de l’armée «dans les conditions fixées par les textes en vigueur».
C’est dire que les prérogatives dont peut se prévaloir un préfet dans le cadre de ses attributions en matière de maintien de l’ordre sont minutieusement encadrées par les textes et il ne lui est pas permis d’outre passer ces textes, sous peine de se rendre coupable d’excès ou d’abus de pouvoir au plan du contentieux administratif ou d’abus de fonction au sens du Code pénal.
Au Cameroun, à ma connaissance, le seul texte qui encadre le maintien de l’ordre est la loi n° 90/54 du 19 décembre 1990 dont l’article 2 confine les autorités administratives à 4 initiatives qu’elles ne peuvent délibérément étendre. D’après cet article 2 de la loi de 1990 «Les autorités administratives peuvent, en tout temps et selon le cas, dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre public, prendre les mesures ci-après: Soumettre la circulation des personnes et des biens à des contrôles; Requérir les personnes et les biens dans les formes légales; Requérir les forces de police et de gendarmerie pour préserver ou rétablir l’ordre ; Prendre des mesures de garde à vue d’une durée de quinze (15) jours renouvelables dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme ».
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Nulle part, on ne voit que le préfet peut interdire de séjour sur son territoire un citoyen, fût-il délinquant avéré. S’il y a atteinte à l’ordre public, le préfet peut requérir les autorités judiciaires pour agir, et là encore, conformément aux textes en vigueur, notamment le code de procédure pénale. De ce qui précède, il ressort clairement que le préfet du Mfoundi abuse de son pouvoir en se prévalant de prérogatives qu’aucun texte ne lui confère. Je crois que les partis politiques et les organisations de la société civile chargées de la promotion et de la défense des droits de l’homme ne doivent pas laisser au préfet du Mfoundi le soin de mettre sa menace à exécution.
Il faut rapidement introduire un recours gracieux auprès de cette autorité pour l’inviter à retirer lui-même son acte. Et en cas de résistance de sa part, saisir le juge du tribunal administratif du Centre à Yaoundé, pour excès ou abus de pouvoir, afin de faire annuler définitivement cet arrêté liberticide. Ces recours sont d’autant plus urgents que l’arrêté du préfet met sérieusement en péril la citoyenneté des populations dont les attaches essentielles sont concentrées dans le département du Mfoundi.
Imaginez que le préfet veuille expulser de son ressort territorial un compatriote natif et vivant dans son village à Etoudi, où veut-il que ce compatriote s’en aille ? On ne peut pas être réfugié dans son propre pays. L’acte du préfet est donc extrêmement grave et doit le plus tôt possible être neutralisé. Il faut enfin souligner qu’en attendant que des recours aboutissent à l’annulation de l’acte du préfet, si celui-ci venait à exercer les pouvoirs illégaux qu’il s’est donnés dans son arrêté, il se rendrait coupable d’abus de fonction au sens du droit pénal.
Et l’abus de fonction est une infraction prévue et réprimée par les articles 74 et 140 du Code pénal. La peine peut aller jusqu’à un emprisonnement d’un an. Le préfet ne bénéficie d’aucune immunité et peut valablement être attrait à titre individuel devant les juridictions civiles, administratives et pénales», a expliqué l’enseignant à l’Université de Dschang. Aucune étiquette pour cette publication.