En garde à vue en France depuis son interpellation samedi, le patron de Telegram, Pavel Durov, cristallise les critiques récurrentes des régulateurs sur l’absence de modération des messageries, tandis que ses soutiens comme Elon Musk fustigent une violation des « libertés ».
Qu’est-il reproché à Telegram ?
Utilisé par près d’un milliard d’utilisateurs, la messagerie en ligne lancée en 2013 par Pavel Durov et son frère Nikolaï, sur laquelle les communications peuvent être chiffrées de bout en bout, s’est positionnée à contre-courant de ses concurrentes américaines (WhatsApp, Messenger…), critiquées pour leur exploitation mercantile des données personnelles.
Telegram s’est engagé à ne jamais dévoiler d’informations sur ses utilisateurs.
Depuis l’installation de son siège social à Dubaï, Telegram s’est aussi mis à l’abri des règles de modération des États, à l’heure où l’Union européenne met sous pression les grandes plateformes pour supprimer leurs contenus illégaux.
La justice française reproche à Pavel Durov de ne pas agir contre les utilisations délictuelles de sa plateforme (escroquerie, fraude, trafic de stupéfiants, criminalité organisée, apologie du terrorisme, cyberharcèlement…), notamment par une absence de modération et de collaboration avec les autorités.
« Telegram se conforme aux lois européennes, y compris le Règlement sur les services numériques (DSA, ndlr), son action de modération est dans la norme du secteur », a répondu dimanche soir Telegram sur son propre canal.
« La criminalité et les discours haineux ont proliféré sur Telegram, mais Durov s’est montré incroyablement peu coopératif (…) S’il avait été plus coopératif, il est peu probable qu’il se soit retrouvé dans cette situation », explique à l’AFP Marc O. Jones, professeur associé à l’université Northwestern au Qatar.
Son arrestation en France « pourrait également inciter les pays du monde entier – occidentaux et autres – à entreprendre leurs propres enquêtes. En retour, cela pourrait également inciter les plateformes technologiques à réfléchir beaucoup plus sérieusement aux contenus criminels qu’elles hébergent », souligne encore Timothy Koskie, chercheur à l’Université de Sydney, sur le site The Conversation.
S’agit-il d’une violation de « liberté » ?
« Ce que je comprends, c’est que Telegram, à force de refus de coopérer, finit par être complice des infractions qui sont réalisées grâce à son service », explique à l’AFP Florence G’Sell, professeure à l’université de Lorraine, spécialiste du droit numérique.
« S’il s’agit du raisonnement du juge, ça va très loin. C’est là qu’il y a un débat », ajoute-t-elle.
Car l’interpellation de Pavel Durov a suscité de nombreuses réactions internationales. « #FreePavel », a écrit sur X Elon Musk, avant de publier un nouveau message en français disant « Liberté. Liberté! Liberté? ».
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« L’arrestation de Pavel Durov est une attaque contre la base des droits humains de communication », a encore fustigé le lanceur d’alerte Edward Snowden, installé en Russie.
« Je suis surpris et profondément attristé qu’Emmanuel Macron se soit abaissé au point de prendre des otages afin d’accéder à des communications privées. Cela rabaisse non seulement la France, mais aussi le monde entier », a-t-il écrit sur X.
Quelles initiatives pour réguler les plateformes ?
Depuis l’entrée en vigueur du DSA en Europe, les fournisseurs de services d’hébergement, y compris les plateformes en ligne, doivent proposer aux internautes un outil leur permettant de signaler facilement les contenus illicites.
« Les contenus notifiés peuvent alors être supprimés ou bloqués par la plateforme concernée. Toutefois, les plateformes soumises au DSA n’ont pas d’obligation générale de surveillance et il appartient donc toujours aux utilisateurs du service de notifier les contenus qu’ils jugent illicites », explique à l’AFP Sonia Cissé, avocate spécialisée en technologies, média et télécommunications au sein du cabinet Linklaters.
« Certains pays, comme le Pakistan, l’Inde et la Chine, prévoient une suppression temporaire des accès internet pour empêcher la diffusion de certaines informations, si considérées comme fausses », tandis que « les États-Unis, sur le fondement du Premier amendement (de la Constitution, garantissant la liberté d’expression, ndlr), prévoient une régulation minime, voire inexistante, des contenus diffusés par les plateformes », ajoute-t-elle.
Pour Florence G’Sell, le débat porte moins « sur la responsabilité des plateformes de réseaux sociaux que sur le niveau de protection que l’on veut garantir quand on a recours à des services de messagerie, et notamment des services de messagerie cryptés. »
« Est-ce qu’on veut un niveau de protection total contre toute surveillance ? C’est-à-dire, cryptage total et on ne peut jamais communiquer d’informations aux autorités. Ou est-ce qu’on lève le cryptage, on oblige les services de messagerie à communiquer, jusqu’à avoir une sorte de surveillance diffuse? Mais, bien évidemment, cela comporte des risques pour la protection de la vie privée », prévient-elle.
Source: Agence France-Presse Aucune étiquette pour cette publication.