Le prix Nobel Muhammad Yunus et son nouveau gouvernement intérimaire se sont promis vendredi de relever le difficile défi de ramener le pays à la démocratie après un soulèvement étudiant et des manifestations de masse meurtrières contre la Première ministre déchue Sheikh Hasina, contrainte à l’exil.
Un jour après son retour d’Europe et après avoir promis de « faire respecter, soutenir et protéger la constitution » lors de son entrée en fonction, Muhammad Yunus, 84 ans, a rendu hommage vendredi aux héros de l’indépendance bangladaise, son premier acte en tant que chef du gouvernement intérimaire.
« Le défi numéro un est la loi et l’ordre », a déclaré aux journalistes Touhid Hossain, qui a pris la tête du ministère des Affaires étrangères. « Si c’est assuré, tout ira bien. »
Mme Hasina, 76 ans, qui est accusée de violations généralisées des droits humains, notamment de l’emprisonnement de ses opposants politiques, a fui lundi en hélicoptère vers l’Inde voisine alors que les manifestants envahissaient les rues de Dhaka, mettant fin à ses 15 ans de règne.
L’armée a accepté les demandes des étudiants voulant que le prix Nobel de la paix en 2006, récompensé pour son travail pionnier en matière de microfinance, dirige un gouvernement intérimaire.
M. Yunus, qui a pris le titre de « conseiller en chef » dans le gouvernement intérimaire, composé de civils à l’exception d’un général de brigade à la retraite, a déclaré qu’il souhaitait organiser des élections « d’ici quelques mois », mais la date du scrutin n’a pas encore été fixée.
– « Forger la réconciliation » –
Yunus a écrit cette semaine dans The Economist que son pays avait besoin d’une nouvelle génération de dirigeants « qui ne soient pas obsédés par les règlements de comptes, comme l’étaient trop de nos gouvernements précédents ».
Pour Syeda Rizwana Hasan, une militante écologiste et avocate nommée pour superviser les Affaires liées au changement climatique, la transition offre une chance de changer le cap politique du pays pour le mettre « sur la voie d’une démocratie véritablement libérale ».
Ce désir de changement a été repris par l’ancien leader étudiant Nahid Islam, 26 ans, aujourd’hui conseiller en information au sein du cabinet. « Notre objectif est de reconstruire le Bangladesh dont nous avons rêvé dans les plus brefs délais », a-t-il déclaré.
Dans les rues traditionnellement embouteillées de Dacca, les étudiants, qui ont provoqué l’éviction de la Première ministre, font eux-mêmes la circulation vendredi, alors que les policiers se sont mis en grève après la fuite de Mme Hasina.
« Notre pays ne peut pas rester à l’arrêt », a déclaré à l’AFP Nasrin Akter Koly, 21 ans, qui oriente les voitures avec des camarades, à l’un des carrefours les plus fréquentés du centre–ville.
A lire: Bangladesh : le prix Nobel Muhammad Yunus prête serment en tant que chef du gouvernement intérimaire
« Les étudiants gèrent la situation maintenant et ils assureront la sécurité du pays »,explique à ses côtés Nahid Kalam Nabil, 22 ans.
D’autres étudiants se sont portés volontaires pour patrouiller dans les quartiers et surveiller les lieux de culte des religions minoritaires.
De nombreux policiers reprennent progressivement leur poste vendredi aux côtés de soldats — tenus en haute estime pour ne pas être intervenus aux côtés de Mme Hasina pendant les troubles — montant la garde.
La nouvelle administration est confrontée à une tâche ardue: Muhammad Yunus a appelé au rétablissement de l’ordre dans ce pays d’Asie du Sud après des semaines de violences qui ont fait au moins 455 morts, appelant les citoyens à se protéger les uns les autres, y compris les minorités attaquées.
La représentante de l’ONU au Bangladesh Gwyn Lewis, a salué vendredi les « appels au calme et à la paix » de M. Yunus, ajoutant qu’elle « travaillerait avec toutes les parties pour forger la réconciliation ».
– Rancune envers l’Inde –
La fuite de Hasina à l’étranger a accru la rancune envers l’Inde, qui a joué un rôle militaire décisif dans l’obtention de l’indépendance du Bangladesh, mais a également soutenu Hasina jusqu’au bout.
Son fils Sajeeb Wazed Joy a déclaré au journal Times of India que sa mère avait encore l’espoir de se présenter à des fonctions publiques. « Elle retournera au Bangladesh dès que le gouvernement intérimaire décidera d’organiser des élections », a-t-il déclaré.
Le Premier ministre indien Narendra Modi a été parmi les premiers à présenter jeudi ses « meilleurs vœux » à M. Yunus quelques instants après son investiture, affirmant que New Delhi était « engagée » à travailler avec sa voisine Dacca.
Le Pakistan, principal rival de l’Inde, a également déclaré vendredi qu’il espérait pouvoir renforcer ses liens avec Dacca, le Premier ministre Shehbaz Sharif souhaitant à Yunus « un grand succès pour guider le Bangladesh vers un avenir harmonieux et prospère ».
La Chine a accueilli vendredi favorablement le gouvernement intérimaire, promettant de travailler avec le pays « pour promouvoir les échanges et la coopération ».
Sous une pluie battante, Yunus a accompli son premier devoir de leader, se tenant silencieusement aux côtés des étudiants et des dirigeants de la société civile.
Ensemble, le groupe a déposé une couronne aux couleurs rouge et verte du drapeau national sur le principal mémorial à la mémoire des millions de morts de la guerre de libération du Bangladesh contre le Pakistan en 1971.
M. Yunus a avait salué à son arrivée jeudi à Dacca un « jour glorieux » et « une deuxième indépendance » pour le pays, en référence à l’indépendance du pays en 1971 à l’issue de la troisième guerre entre le Pakistan et l’Inde.
Source: Agence France-Presse