D’un compte français d’un militant d’extrême droite à ceux de hauts responsables russes, en passant par la mouvances complotiste américaine: l’infox accusant Emmanuel Macron et le chancelier Friedrich Merz d’avoir consommé de la cocaïne en Ukraine a bénéficié de la porosité de ces sphères pour se propager massivement.
Le prétendu « sachet de cocaïne » supposément « caché subrepticement » par le chef de l’Etat français lors d’une rencontre avec le chancelier allemand et le Premier ministre britannique Keir Starmer dans un train pour Kiev le 9 mai est en fait un mouchoir blanc, et la « cuillère à cocaïne » de M. Merz une simple petite pique en bois, comme l’attestent les images – photo et vidéo – réalisées par l’AFP sur place.
Mais les publications sur X, Facebook, Tiktok et Telegram les accusant dans plusieurs langues de consommer cette drogue dure ont cumulé des dizaines de millions de vues à travers le monde.
– Complotisme –
Elles ont prospéré sur le terreau favorable d’une « rumeur ancienne » dans les sphères complotistes d’un supposé penchant d’Emmanuel Macron pour la cocaïne, d’où son surnom de « poudré » utilisé régulièrement par certains comptes, rappelle auprès de l’AFP Justin Poncet, président d’Opsci, institut spécialisé dans l’analyse socio-numérique.
De source sécuritaire, on estime que « ce sont des comptes francophones qui sont les primo diffuseurs, qui font l’objet d’une première reprise par l’écosystème russe, avec une reprise du narratif par la porte-parole russe (du ministère des Affaires étrangères, NDLR) Maria Zakharova, puis par des chaînes Telegram ».
Entrent aussi en scène, « par opportunisme », des comptes anglophones complotistes, comme celui d’Alex Jones, animateur radio et figure de l’extrême droite américaine. Ils jouent un rôle d’amplification.
Le collectif Antibot4Navalny, qui traque sur ce réseau social les opérations d’influence en lien avec la Russie, a lui aussi relevé sur X ce rôle amplificateur de « canaux Telegram pro-Kremlin et de médias en ligne ».
Cet épisode « ne procède pas forcément d’une coordination générale: on parle de plusieurs sphères, liées sans l’être, de manière évanescente », qui relaient l’infox et ce faisant transforment la rumeur en « phénomène de foule », décrypte Justin Poncet.
– « Petit sachet blanc » –
Comme pour toute fausse information extrêmement virale, il est difficile de repérer sur les réseaux sociaux avec certitude la publication originelle.
Mais de source diplomatique, on explique que les autorités françaises ont détecté le 10 mai un commentaire d’un compte X répondant à une publication d’une vidéo du déplacement d’Emmanuel Macron, un commentaire suggérant la présence de petits sachets blancs posés sur la table.
Il est ensuite republié par un compte X francophone dans lequel figure une capture d’écran vidéo de la rencontre entre les trois dirigeants européens, précise-t-on de source sécuritaire.
Dans la soirée du 10 mai, les choses s’accélèrent. A 19H46, le compte RadioRoma partage la vidéo dans un post dédié où il fait mine de se demander ce qu’est « le petit sachet blanc qu’Emmanuel Macron cache à la caméra dans sa main ». Deux heures plus tard, il publie un « ralenti » pour appuyer ses dires. Au total plus de 3,4 millions de vues et 5.000 partages en trois jours, a constaté l’AFP.
Ce compte est celui de Louis Bopéa, un ex-cadre du Rassemblement national particulièrement actif et à l’audience importante.
Les allégations sont dans la foulée reprises par divers comptes relayant régulièrement désinformation, contenus d’extrême droite, pro-russes, anti-vaccins et/ou complotistes. De petits comptes de particuliers à ceux d’influenceurs populaires.
– « Ennemis de la France » –
Le 11 mai à la mi-journée, les souverainistes de droite Florian Philippot (« Que planque Macron?! ») et Nicolas Dupont-Aignan (il est « urgent de savoir ») rejoignent les rangs de ces relais.
Parallèlement, l’infox franchit les frontières. Maria Zakharova puis Kirill Dmitriev, émissaire de Vladimir Poutine pour les questions économiques à l’international, s’en emparent, ainsi que des médias russes, par exemple le site Pravda.com, en anglais, ou le journaliste Vladimir Soloviev, en russe sur Telegram.
Puis dans l’après-midi, c’est au tour de l’Américain Alex Jones, avec ses quelque 4,5 millions d’abonnés sur X: son premier post cumulera près de 30 millions de vues et 24.000 partages en 48 heures. Il enfoncera le clou le 12 mai en publiant ce qu’il présente comme une image zoomée – mais clairement fausse – du fameux « sachet de cocaïne ».
Dans la nuit du 11 au 12, l’Elysée dénonce une opération de désinformation « propagée par les ennemis de la France », le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot pointe du doigt la Russie.
Source : Agence France-Presse