Face à l’instituteur Richard Mbueki, une trentaine d’écoliers en uniformes bleus et blancs restent attentifs: une journée comme les autres dans cette école de Goma, grande ville de l’est de la RDC tombée aux mains du groupe armé M23 fin janvier, à un détail près.
Certains élèves de l’institut privé Majengo ont payé les frais de scolarité avec des bidons d’huile de palme, dans la cité frappée par une grave pénurie de liquidités depuis l’arrivée du M23, soutenu par le Rwanda et son armée.
Au lendemain de la prise de Goma, les autorités de la République démocratique du Congo (RDC) ont cessé d’approvisionner les banques des zones contrôlées par le groupe armé antigouvernemental. Depuis, celles-ci sont fermées, les guichets automatiques pratiquement vides et les habitants de Goma contraints à la débrouille pour les achats du quotidien.
– Un appel à l’aide –
« La priorité actuellement, c’est d’avoir quelque chose à se mettre sous la dent », explique Richard Mbueki, en soulevant un bidon rempli d’huile déposé par un parent d’élève. « Nous vivotons, cette situation est intenable ».
Les parents « se présentent à l’école en proposant des vivres et l’école demande qu’ils présentent un échantillon ». Ensuite, l’établissement « cherche quels enseignants sont intéressés » par la marchandise, raconte Augustin Vangisivavi, préfet des études à l’institut Majengo.
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« On fixe un prix correspondant à celui du marché, puis on inscrit l’équivalent en monnaie dans les comptes de l’école avant de délivrer un reçu », ajoute-t-il.
Une solution provisoire qui pourrait toutefois durer car les pourparlers entre la RDC et le Rwanda, qui se sont engagés à travailler à une ébauche d’accord de paix, n’ont pas encore apporté de changement au quotidien des Congolais en zones M23.
Pour le moment, l’école Majengo, de même que les nouvelles autorités, appellent les habitants à utiliser les solutions de paiement mobiles. Mais cet usage n’est pas encore répandu à Goma, contrairement à d’autres pays d’Afrique de l’est.
– « Notre survie » –
Les changeurs de monnaie pratiquent des taux prohibitifs pour de nombreux habitants de ce pays parmi les plus pauvres au monde, et ont conduit le M23 à annoncer un taux fixe pour limiter les dérives.
Par ailleurs, ceux qui ont encore la chance de percevoir un salaire, ne peuvent pas accéder à leur compte bancaire. Alors comme de nombreux salariés, l’enseignant Richard Mbueki se rend au Rwanda voisin pour retirer son argent, au prix de taxes supplémentaires.
Les fonctionnaires et les employés des organisations internationales, payés par virement, sont également touchés. L’économie morose, le départ de certains personnels internationaux et la pénurie de cash a aussi coûté leur travail à de nombreux habitants.
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« Depuis la guerre, il n’y a quasiment plus d’opportunités, alors pour le moment je suis femme au foyer », confesse Godel Kahamby, ancienne employée du service public.
« Nous avons déjà largement réduit les dépenses : pas de nouveaux vêtements, pas de repas cher, pas de divertissement », énumère la jeune femme ajoutant que « pour le moment, ce qui est important c’est notre survie ».
– « Notre survie » –
Si les produits de première nécessité continuent à être acheminés en ville, le tissu économique suffoque.
« Nous trouvons les marchandises, mais nous n’avons pas d’acheteurs », déplore Innocent, vendeur de matériaux de construction.
Les rues du marché Birere sont en effet inhabituellement calmes. Les bateaux qui embarquent sur le lac Kivu, vers la province voisine du Sud-Kivu, partent à moitié vides.
« Avant la guerre, je pouvais vendre vingt sacs de farine de maïs par semaine mais actuellement, même dix sacs par mois est une bénédiction », assure Nelson Kombi, commerçant au quartier Majengo à Goma.
Les prix des vivres ont augmenté en raison des difficultés d’approvisionnement et de nouvelles taxes imposées par les belligérants des deux côtés de la ligne de front.
Le M23 a bien inauguré une régie financière en attendant la réouverture des banques, appelant les particuliers à y mettre leurs économies. Sans succès jusqu’ici et les experts estiment que cette structure devrait se limiter à centraliser les taxes perçues par le groupe armé.
En attendant le retour des dollars et des francs congolais, les deux monnaies en circulation en RDC, la criminalité explose dans les grandes villes de Goma et Bukavu, aux rues désertes à la nuit tombée.
Source : Agence France-Presse