Le renseignement chinois en Europe: une machine énorme, une réponse insuffisante

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Le conflit en serait presque asymétrique. Les affaires d’espionnage présumé de la Chine en Allemagne et au Royaume-Uni, révélées cette semaine, rappellent combien Pékin mobilise un immense réseau de renseignement sur un continent insuffisamment armé pour y répondre.

A l’approche des élections européennes, Allemagne et Royaume-Uni ont annoncé lundi l’arrestation ou l’inculpation de cinq personnes soupçonnées d’espionnage au profit de la Chine. Mardi, un agent chinois présumé au coeur du Parlement de l’Union européenne a été arrêté.

Réseau de renseignement chinois : une machine énorme

 

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Rien ne permet de lier les affaires entre elles, ni d’expliquer la concomitance de leur révélation dans un monde qui règle traditionnellement ses différends discrètement.

Mais elles soulignent un phénomène dénoncé par les services européens et démenti avec force par Pékin: la Chine déploie des ressources colossales pour façonner les opinions, espionner économies et entreprises, pénétrer institutions et universités.

“Il y a une longue tradition du renseignement chinois orienté vers la captation de patrimoine informationnel, de brevets, de ressources intellectuelles stratégiques”, résume pour l’AFP Alexandre Papaemmanuel, professeur à l‘Institut d’études politiques (IEP) de Paris.

Et longtemps, le Vieux Continent n’a pas pu ou voulu voir. “La prise de conscience a été tardive, due en partie à une naïveté, une confiance excessive en une mondialisation un peu utopiste”.

 

– “Personne n’a de chiffres” –

 

En septembre, l’Institut Montaigne à Paris relevait que les Etats-Unis recouraient “à des instruments de sécurité économique avec l’ambition de garder une longueur d’avance sur d’autres pays”. L’UE “n’a pas ce réflexe stratégique”, ajoutait le centre de réflexion, après s’être “construite sur le socle des principes de libre-échange et du multilatéralisme”.

La menace, pourtant, est bien réelle. “C’est un des plus importants services du monde si ce n’est le plus important”, estime Paul Charon, spécialiste de la Chine à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM), à Paris.

La branche renseignement du ministère chinois de la Sécurité publique (MSP), le 1er bureau, compterait entre 80.000 et 100.000 membres, selon lui.

Certaines sources évoquent par ailleurs jusqu’à 200.000 agents au ministère de la Sécurité de l’Etat (MSE). “Mais la réalité c’est que personne n’a de chiffres et qu’on en est réduit à des spéculations”, souligne le chercheur.

Le réseau chinois “éclipse la communauté britannique du renseignement et représente un défi pour nos agences”, admettait en tout cas l’an passé le Comité renseignement et sécurité du parlement britannique.

Ses activités se concentrent sur la survie du régime chinois, la collecte de renseignement – politique, économique, scientifique, militaire – et la guerre informationnelle. Un domaine dans lequel tout l’appareil d’Etat est engagé.

En août dernier, le think tank américain CSIS listait entre autres, parmi les organes d’influence, l’armée, les MSE et MSP, les ministères des Affaires étrangères et de l’Industrie ainsi que diverses organisations du Parti communiste chinois.

“Une vaste gamme d’acteurs non-étatiques ou quasi-étatiques sont aussi impliqués, depuis les hacktivistes jusqu’aux entreprises privées”, relevait le CSIS.

 

– Pieuvre tentaculaire –

 

Le processus est moins coordonné qu’en apparence: l’appareil chinois est tiraillé entre centralisation et autonomie des provinces, Etat et parti, administration et querelles idéologiques.

“On se représente la Chine comme un Etat doté d’un appareil bureaucratique soumis et très efficace. C’est ce que les Chinois aimeraient nous faire croire”, souligne Paul Charon auprès de l’AFP. Mais l’administration “agit le plus souvent dans l’improvisation” avec “quelques lignes directrices (…) qui demeurent vagues et font surtout figure de symboles”.

Les récentes affaires ne surprennent personne tant elle s’inscrivent dans une activité identifiée comme croissante. Mais à quel point?

“On détecte plus d’opérations d’abord parce que les services chinois sont manifestement plus actifs, mais aussi parce qu’on s’y intéresse plus. Mais on ne sait pas quelle est la part immergée de l’iceberg. Les opérations observées représentent-elles 10% de leurs activités ou 60% ? Nous n’en savons rien et cela illustre dramatiquement nos lacunes”, admet Paul Charon.

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La faiblesse des connaissances occidentales sur la Chine et la multiplicité des fronts – le terrorisme, la guerre en Ukraine, l’embrasement du Moyen-Orient notamment – affaiblissent encore le Vieux Continent, en panne de moyens adéquats face à un adversaire qui observe, collecte, rassemble et analyse massivement.

“La richesse d’un service de renseignement se mesure aux données qu’il peut collecter”, explique Alexandre Papaemmanuel, évoquant “de gigantesques activités cyber chinoises pour récupérer d’importants volumes de données sensibles”.

Pour Paul Charon, “la plupart des services européens ont consenti des efforts importants pour mettre en place des dispositifs de contre-espionnage efficaces, mais les services chinois – organisation, capacités, modes opératoires – demeurent trop méconnus”.

Pour pallier ces défaillances, “l’investigation numérique constitue un véritable gisement de connaissances potentielles qu’il nous faut exploiter plus systématiquement”.

 

Source: Agence France-Presse

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