Ukraine: la diplomatie vaticane brouillée par les déclarations du pape

Kiev s’est aussitôt indigné en l’accusant de “légaliser le droit du plus fort”, allant jusqu’à convoquer l’envoyé du Vatican.

Les propos du pape lui ont aussi attiré une volée de bois vert sur les réseaux sociaux, des comptes pro-ukrainiens le représentant avec le visage de Vladimir Poutine ou grimé aux couleurs de la Russie.

En dépit de ses appels répétés à la paix depuis l’invasion russe en février 2022, certains observateurs, y compris à Rome, regrettent que ses prises de parole sèment la confusion.

A lire: En Ukraine, l’industrie du drone veut faire la différence contre la Russie

“L’utilisation malheureuse est le drapeau blanc, qui est synonyme de capitulation”, déplore une source vaticane sous le couvert de l’anonymat. “Cela a été une surprise pour beaucoup de gens”.

Le Vatican a cherché à corriger le tir en insistant sur le fait que la formule “drapeau blanc” signifiait ici “une cessation des hostilités” plutôt qu’une reddition. Le secrétaire d’Etat (N. 2 du Vatican), Pietro Parolin, est lui-même monté au créneau pour tenter d’éteindre l’incendie.

“La condition préalable” à une solution négociée est de “mettre fin à l’agression” et de faire taire les armes, “et c’est d’abord à l’agresseur de le faire”, a ainsi estimé le cardinal italien dans un entretien au quotidien Il Corriere della Sera mardi.

Ce n’est pourtant pas la première fois que le chef de l’Eglise catholique crée des vagues en s’exprimant sur le conflit. Fin 2022, le Vatican avait présenté ses excuses à Moscou après un commentaire sur le comportement présumé cruel des minorités ethniques russes.

– “Dissociation” –

Simples maladresses ou erreur d’appréciation?

Contrairement à ses prédécesseurs qui avaient “une culture de la diplomatie occidentale”, le pape argentin porte “un regard non européen, avec des avantages mais aussi des limites”, rappelle à l’AFP François Mabille, directeur de l’Observatoire géopolitique du religieux à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) de Paris.

Pour le vaticaniste italien Marco Politi, “François est diplomatiquement isolé dans la zone de l’Otan” même s’il est “sur la même longueur d’onde que la majorité des Etats du monde”.

Ces interventions naissent souvent lors d’interviews. Alors que Jean-Paul II improvisait peu et “Benoît XVI était véritablement un homme de l’écrit”, François “est un pape qui parle beaucoup” y compris à la presse, multipliant les risques d’approximations, note François Mabille.

Par ailleurs “fondamentalement pacifiste”, François “est davantage un pape militant qu’un pape chef d’État comme on a pu en connaître auparavant”, souligne le chercheur.

A lire: Poutine met en garde les Occidentaux contre une “menace réelle” de guerre nucléaire

Souvent critiqué pour son exercice solitaire du pouvoir, l’évêque de Rome gère sa propre communication en délaissant l’institution vaticane.

En conséquence, “on constate une sorte de dissociation entre la parole pontificale et la parole de l’appareil diplomatique. La Secrétairerie d’État (organe central du gouvernement du Saint-Siège, ndlr) est presque systématiquement obligée d’essayer de faire comprendre ses propos”, relève M. Mabille.

L’exemple le plus parlant remonte à août 2023, lorsque Jorge Bergoglio avait invité des jeunes catholiques russes à revendiquer l’héritage de la “grande Russie” de Pierre le Grand et Catherine II. Kiev l’avait accusé de relayer “la propagande impérialiste” de Moscou, obligeant le Saint-Siège à clarifier.

– “Guerre d’usure” –

Tout en priant chaque semaine pour “l’Ukraine martyrisée”, le pape tente de maintenir un fragile équilibre diplomatique alors que le conflit a déjà miné le dialogue avec l’Eglise orthodoxe russe et son chef, le patriarche Kirill, proche de Vladimir Poutine.

Mais la mécanique arbitrale du Saint-Siège, qui s’est illustrée par le passé comme lors du rapprochement entre Cuba et les Etats-Unis en 2014, semble impuissante sur le dossier ukrainien, au même titre que d’autres tentatives de médiation.

A lire: Washington dit non aux troupes au sol en Ukraine

Outre les appels du pape restés lettre morte, la tournée diplomatique se son émissaire, le cardinal italien Matteo Zuppi, est passée inaperçue malgré des étapes à Washington, Kiev, Moscou et Pékin.

Dans ce contexte, François tente de s’inscrire dans une forme de “Realpolitik”, alors que comme le rappelle Marco Politi “une grande partie de l’opinion publique européenne et même américaine ne veut pas s’épuiser dans une guerre d’usure, ni s’épuiser économiquement”.

Source: Agence France-Presse