Politique de la France au Rwanda : des décennies de “déni insupportable”

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Les responsabilités de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 ont fait l’objet d’un “déni insupportable” pendant des décennies, et constituent “le grand scandale de la Ve République”, estime l’historien Vincent Duclert.

Sa commission de chercheurs et historiens, mandatés par le président Emmanuel Macron, a rendu en 2021 un rapport historique qui passait au crible la politique française au Rwanda dans les années 1990, et a conclu aux “responsabilités lourdes et accablantes” de la France dans le génocide de 1994, au cours duquel plus de 800.000 personnes ont été massacrées, essentiellement de la minorité tutsi, en trois mois.

Le Rwanda commémore le génocide des Tutsi, 30 ans après

 

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QUESTION – Comment analysez-vous aujourd’hui les répercussions de votre rapport ?

 

REPONSE – “D’une part, cela a changé considérablement les relations entre la France et le Rwanda, qui étaient marquées jusque là par une tension extrême. Nous avons rendu notre rapport en mars 2021, le président Macron s’est rendu à Kigali deux mois plus tard pour en restituer les conclusions sur les responsabilités accablantes de la France ayant soutenu un régime génocidaire.

A partir d’un accord sur la vérité historique, les deux pays ont pu établir une relation diplomatique très forte, qui se poursuit aujourd’hui.

En France même, une étape très importante a été franchie. Le public a accédé à une vérité historique, et cela n’a pas provoqué de crise mémorielle, au contraire je dirais qu’il y a eu un soulagement, car la vérité guérit et grandit.

On avait un déni qui empêchait toute avancée. Il y avait bien une conscience diffuse que la proximité du régime de François Mitterrand (l’ancien président socialiste, NDLR) avec le régime Habyarimana (Juvénal Habyarimana, président hutu, NDLR) posait un problème.

Mais le déni était absolument insupportable.

Le rapport a permis une libération de la parole de nombreux acteurs de l’époque. A partir du moment où on énonce, où on explique que tout le monde n’est pas indistinctement responsable, où on désigne des échelons de responsabilité politique, cela restaure de la confiance dans l’action politique.

Bien sûr, certains acteurs contestent et le narratif +ce n’était pas un génocide, c’étaient des chefs locaux qui règlent leurs histoires à coup de machette, et la France n’a aucune responsabilité dans ces affaires de sauvages+ peut perdurer.

Mais nous nous sommes efforcés d’apporter une vérité historique solidement établie sur des archives. Et cette vérité pour les Français, c’est la preuve qu’on peut sortir de périodes extrêmement troubles, traumatisantes, pleines de déni. On ouvre la porte, les fenêtres. Oui, la vérité historique fait du bien et confirme que nos valeurs ont du sens.”

 

Q- Dans un livre publié début 2024, vous allez encore plus loin en parlant de “grand scandale de la Ve République” et d’un “effondrement politique et moral”.

 

R – “J’ai découvert de nouvelles archives qui montrent l’ampleur du soutien que la France accorde (au début des années 1990) au régime Habyarimana. Le grand scandale de la Ve République, c’est la compromission des institutions par une pratique présidentielle qui voulait faire du Rwanda une sorte de laboratoire d’une nouvelle présence française, notamment militaire, en Afrique.

L’absence de contre-pouvoirs et l’impossibilité d’exposer à François Mitterrand le danger de cette politique – certains ont essayé et ont échoué – permet d’accompagner un régime raciste, violent, corrompu. Il y a une forme d’immoralité, c’est un désastre.”

 

Q – Votre rapport écartait pourtant la “complicité” de la France dans le génocide.

 

R – “La complicité, c’est une vraie question. Nous l’avons écartée car au fond il n’y a pas d’archives qui montrent que la France s’associe à l’entreprise criminelle. Et la France n’avait pas comme projet la mort génocidaire des Tutsi, il faut le répéter.

Mais la question relève de la justice, qui qualifie des faits. Nous, nous avons pris nos responsabilités en tant qu’historiens.”

Agathe Habyarimana "en ligne de mire" de la justice française

 

A lire: Génocide au Rwanda : la justice française a toujours “en ligne de mire” le cas d’Agathe Habyarimana

 

 

Q – Trente ans après, le génocide des Tutsi est-il plus étudié et mieux connu en France ?

 

R – “Dans sa lettre de mission, Emmanuel Macron indiquait son attente de voir le génocide des Tutsi enseigné en terminale, ce qui s’est fait très rapidement. Aujourd’hui vous avez énormément de jeunes en France qui l’étudient, c’est très important. Il y a encore trois ou quatre ans, c’était inconcevable.

Aujourd’hui, il y a des initiatives d’établissements, qui se mobilisent, qui travaillent à des jumelages avec des lycées rwandais, effectuent des voyages au Rwanda.

On assiste à quelque chose qui a du sens. On sait aujourd’hui qu’il y a eu véritable génocide. Ce n’étaient pas du tout des massacres inter-ethniques.”

 

 

Source: Agence France-Presse

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