Un ouvrier impeccablement ganté de blanc inspecte les hélices d’un biplace anguleux tout juste sorti de chaînes d’assemblage censées, selon l’industriel, devenir les premières au monde à produire en série des voitures volantes.
La scène se déroule au coeur de la zone industrielle de Canton (sud de la Chine), dans une usine flambant neuve d’Aridge, filiale du constructeur chinois de véhicules électriques XPeng. L’usine, achevée en septembre, monte depuis début novembre, en phase d’essai pour le moment, ces engins avant-gardistes à l’allure de gros bourdon blanc et noir.
Les pesanteurs techniques et réglementaires freinent le décollage des voitures volantes à travers le monde. Mais les entreprises chinoises misent sur les savoir-faire acquis dans l’industrie des voitures électriques et des drones, avec une part importante de technologies communes, pour aider la voiture volante à prendre son essor. Elles peuvent compter sur le soutien de l’Etat.
« La Chine a le potentiel pour prendre un ascendant commercial » sur ce marché, dit Zhang Yangjun, professeur à l’École des véhicules et de la mobilité de l’Université Tsinghua, à Pékin.
« La compétition tournera de plus en plus à l’avenir autour de la maîtrise des coûts et l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement, deux domaines dans lesquels la Chine possède des atouts indéniables », explique-t-il.
Des robots circulent entre les chaînes
Dans l’usine Aridge baignée de lumière, des robots circulent entre les chaînes, porteurs de pièces à monter pour arriver au produit final: une machine à décollage vertical transportant deux passagers dans une cabine sous six hélices. Les hélices peuvent se replier et le module se réduire aux dimensions d’une boîte transportable et rechargeable dans une grosse voiture à six roues, appelée « vaisseau mère » et construite dans une usine voisine.
A pleine capacité, l’usine devrait sortir une voiture volante toutes les 30 minutes, dit XPeng. L’entreprise dit avoir enregistré plus de 7.000 précommandes. Elle prévoit de commencer les livraisons l’an prochain.
Il reste cependant du chemin à parcourir avant que les voitures volantes ne fassent partie du paysage.
Un vieux rêve
« La réglementation, la confiance du consommateur dans le produit ainsi que la gestion de l’espace aérien et des chaînes d’approvisionnement doivent s’adapter progressivement », déclarait récemment à des journalistes Michael Du, vice-président d’Aridge.
La concurrence s’intensifie entre géants technologiques mondiaux. Le patron de Tesla Elon Musk a fait miroiter la présentation prochaine d’un prototype.
« Imaginez toutes les voitures de James Bond réunies en une seule, ce serait encore plus fou », s’est-il emballé dans le podcast Joe Rogan Experience.
Le pionnier américain de l’aviation, Glenn Curtiss, a présenté le premier prototype de voiture volante en 1917. Mais il a fallu attendre les progrès récents des moteurs électriques et des batteries haute performance pour que la conception de prototypes performants devienne possible.
Différents acteurs, comme les sociétés californiennes Joby et Archer ou chinoises Aridge, EHang et Volant, ont mené des vols d’essai habités. EHang est devenue en 2025 la première entreprise de voitures volantes au monde à obtenir toutes les autorisations nécessaires à une exploitation commerciale, une étape qu’Aridge n’a pas encore franchie.
EHang a pour projet de lancer d’ici trois ans un service de taxi aérien, à un prix comparable à celui d’un taxi terrestre haut de gamme.
« Les voitures volantes n’en sont qu’à leurs balbutiements », déclare le professeur Zhang.
Le secteur mérite qu’on y investisse à long terme, dit-il.
Rentabilité élusive
Les autorités nationales sont du même avis. Le projet de plan quinquennal, instrument crucial de planification dans le système chinois, fait de « l’économie de basse altitude » (voitures volantes, drones et taxis aériens) un secteur stratégique.
Le marché chinois des voitures volantes s’approche d’un « tournant décisif » et atteindra 41 milliards de dollars d’ici à 2040, indique un rapport du Boston Consulting Group.
Les industriels doivent encore trouver le modèle économique rentable. Différentes entreprises ont fait faillite en Europe. D’autres aux Etats-Unis ont beaucoup dépensé sans atteindre le stade de la fabrication en série.
Les experts mettent en garde contre les comparaisons intempestives entre Occident et Chine.
« En termes de chaînes d’approvisionnement pour véhicules électriques, la Chine est largement en tête », dit Brandon Wang, un investisseur pékinois dont le portefeuille comprend l’intelligence artificielle, la robotique et les voitures volantes.
La certification, pour les voitures volantes, de composants agréés pour les véhicules électriques devrait contribuer à accélérer la production. M. Wang invoque aussi la faculté des ingénieurs chinois à résoudre les problèmes de production.
Un obstacle d’un autre genre subsiste toutefois: la majorité des Chinois n’a jamais pris l’avion. « Voyager à bord de petits avions est assez courant aux États-Unis, et l’espace aérien y est généralement plus ouvert qu’en Chine », fait observer M. Wang.
© Agence France-Presse
















