L’année 2025 est annoncée pour certains comme une année de tous les risques. Pages Jaunes ouvre une série en donnant la parole aux analystes politiques de tous les bords, pour comprendre le jeu des acteurs, la question des alliances politiques et surtout voir qui peut affronter Paul Biya à la présidentielle de 2025 au Cameroun. Avec le Dr Aristide Mono, on a essayé de cerner les contours d’une année qui vient avec les tensions vives annoncées.
Certains analystes s’accordent à dire que 2025 sera une année chaotique. Alors comment comprendre qu’à chaque veille de l’élection présidentielle, c’est la catastrophe qui est annoncé, mais rien n’arrive…
L’année 2025, si on s’en tient à la normalité de l’avenir, ça veut dire que si entre temps il n’y a pas une situation qui vienne impacter le cours du calendrier électoral, 2025 s’annonce comme une année électorale assez courue et assez fructueuse aussi, parce qu’après, je crois, 5 ans d’hibernation ou 7 ans d’hibernation politique, les Camerounais vont renouer avec l’activité électorale et avec des enjeux un peu plus élevés. Si en 2018 ou 2020, nous étions dans une situation qui augurait moins de crise, aujourd’hui, je crois qu’au fil des années, les Camerounais ont su comprendre le niveau chaotique de la vie politique, sociale, institutionnelle de notre pays. Ils ont eu des éléments supplémentaires de la crise qui affecte les Camerounais, du chaos qui affecte les Camerounais.
Du coup, l’élection semble s’affirmer davantage comme une issue pour beaucoup. Cela s’est ressenti dans la mobilisation pour les inscriptions sur les listes électorales. Cet engouement qui était plus élevé que celui connu les années écoulées, a démontré clairement l’envie des Camerounais de se lancer dans la compétition électorale, forcément dans le sens de l’activation du changement.
Donc, 2025, si on s’en tient déjà à la mobilisation pour les inscriptions sur les listes électorales, la mobilisation portée par la société civile, les partis politiques et les masses, on peut dire que 2025 ne sera pas comme 2018 ou 2020. Les Camerounais sont de plus en plus engagés et la situation chaotique du pays commence à travailler les consciences. Ceux qui s’abstenaient de toute activité politique ou de toute participation au jeu électoral sont de plus en plus désillusionnés et finissent par admettre qu’il faudra s’engager, s’activer, faire des choix, défendre ces choix et les partis politiques les accompagnent dans ce sens.
L’année 2025 risque également d’être une année de tensions politiques résistantes, si on reste toujours dans l’hypothèse de la continuité, de l’accalmie que nous observons aujourd’hui, si on reste dans l’hypothèse de la non-rupture de la continuité. Parce qu’il peut y avoir une rupture de la continuité, si par exemple des situations liées à la vacance ou à la succession se compliquent, il est évident que la continuité va connaître une rupture. Mais si on reste dans cette hypothèse où il n’y aura pas de rupture de continuité, on va noter à côté de la mobilisation, de l’intensification des engagements, on va noter en fait les tensions politiques entre l’opposition et le pouvoir.
Ces tensions pourront naître des tentatives d’élimination de certains opposants, beaucoup plus le président, candidat du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, par ailleurs candidat de la plateforme APC. Si par hasard ou par malheur l’ogre dominant essaye de le disqualifier via des manœuvres qui sont annoncées, il est clair qu’on pourra se retrouver avec des rapports de forces chaotiques. Encre déjà ce parti et l’ogre dominant, et ensuite encre les masses sympathisantes de ce parti et l’ordre dominant.
Ça pourrait donc provenir de partout, des actions de face à face engagées par le parti et des actions de face à face engagées par ses sympathisants. Ce qui pourra tout naturellement détériorer davantage le climat politique, et surtout le rapport de force, les relations politiques entre l’opposition et le pouvoir. Si nous sommes en situation de rupture de la continuité, 2025 va encore se compliquer, parce qu’il va falloir gérer d’abord la question de l’intérimaire.
Si nous ne sommes pas en situation de rupture de la continuité, il va falloir gérer la question de l’intérimaire, la succession constitutionnelle, qui va en principe durer 120 jours. Et après, il va falloir faire face aux élections anticipées, avec toutes les manœuvres intra-systèmes, entre les différents clans qui s’opposent déjà de manière ouverte dans le système, et aussi dans la définition du jeu électoral, avec de nouvelles forces qui vont naître, et ces résistantes qui vont se renforcer, et qui pourront augmenter leur apport de force face à l’ordre dominant. Et ces manœuvres-là peuvent amener le pays dans un chaos. Encore que le Cameroun est dans le chaos depuis, avec la crise du Noso, la crise de Boko Haram et les tensions à caractère politique, le Cameroun est dans le chaos. Mais seulement, on n’est pas encore arrivé au stade final de ce chaos, Alors s’il y a une rupture de continuité, nous croyons fermement qu’il y aura cette chance d’arriver à ce chaos, qui pourra donc aboutir à une implosion, une crise institutionnelle profonde, et forcément des échanges de rues pas du tout gaies.
On parle du jeu des alliances avec la problématique de la candidature unique de l’opposition…
Pour ce qui est de l’opposition et la problématique de la candidature unique, il faut dire qu’aucun pays au monde n’a connu ce type de configuration politique entre les acteurs de l’opposition. Même dans des systèmes qui s’affichent comme bipartistes, on n’a jamais observé une idée de candidature unique de l’opposition. Les Etats-Unis comptabilisent plus de 50 partis politiques, 7 ont des élus, on n’a jamais entendu qu’il y a eu une candidature unique de l’opposition lorsque les républicains sont au pouvoir, ou lorsque les démocrates sont au pouvoir. Ça n’a jamais eu lieu, donc c’est une utopie. Nous continuons de penser que l’idée de candidature unique de l’opposition est une grosse diversion et distraction, parce qu’on ne peut pas s’entêter dans l’impossible. Aucun pays n’a jamais connu l’expérience de la candidature unique de l’opposition. Aucun pays au monde, aucune nation, aucune démocratie, jamais.
Techniquement, ce sont des choses inimaginables, impensables, infaisables. C’est impossible, du point de vue technique. Dans un pays qui comptabilise plus de 300 partis politiques, comment faire pour avoir finalement une candidature unique de l’opposition ? Comment on va organiser les modalités de choix ? Est-ce qu’on peut avoir des moyens pour organiser une pré-élection afin de déterminer qui sera le candidat de l’opposition ? C’est impossible de toutes les façons. Cette idée relève d’une distraction, d’une diversion. Une distraction qui est portée par des rationalités inavouées, à la fois par les acteurs du haut, dont l’Etat, le gouvernement, le parti au pouvoir, et aussi par les acteurs du bas, les opposants. L’idée de la candidature unique de l’opposition répond à une commande du système dominant qui vise à légitimer les défaites arbitraires de l’opposition.
Autrement dit, on veut laisser croire à l’opinion nationale et internationale que si l’opposition n’arrive pas à battre l’ordre dominant, c’est parce qu’elle n’arrive pas à dégager un candidat unique. Pourtant, comme je le dis plus haut, même dans les nations où l’opposition a tapé le parti au pouvoir, il n’y a jamais eu de candidature unique, donc ce n’est pas une panacée. Mais le pouvoir qui entretient ce discours nocif sur la candidature unique de l’opposition, veut faut laisser croire à l’opinion que si elle gagne les élections, c’est parce que l’opposition n’est pas unie.
Or, c’est faux ! La question de la défaite de l’opposition n’a rien à voir avec la candidature unique ou le manque de candidature unique. Le problème est ailleurs, il y a la question de la fraude électorale entretenue par l’ordre dominant. Il y a la question de la répression de la liberté politique au public entretenue toujours par le pouvoir en place.
Il y a la question de la corruption électorale entretenue par le parti au pouvoir. Et il y a aussi la question de l’activation du tribalisme toujours entretenue par le même pouvoir. Voilà, pour moi, les quatre éléments fondamentaux qui structurent la défaite de l’opposition au Cameroun.
L’impossible unanimité autour d’un seul candidat…
En plus des cas endogènes à cette opposition, il ne figurerait nulle part la question de la candidature unique de l’opposition. Et pour les opposants qui entretiennent ce discours flot, je crois que pour eux il est question de démanteler l’opposition tout entière, de se donner aussi des ouvertures pour démanteler toutes les dynamiques qui pourraient être portées par quelques compartiments de l’opposition. La candidature unique de l’opposition, telle que portée par certains opposants, c’est tout simplement une alchimie inventée pour se faire une place dans les blocs de discussion des opposants et jouer le rôle de taupe, d’infiltrer. Et à chaque fois qu’il y a un semblant de mutualisation de forces par une catégorie, qu’il la démantèle rapidement en jouant le rôle de traitre ou en jouant le rôle de celui qui implose. Donc il y a des rationalités sous-jacentes à cette idée impossiblement matérialisable, cette idée de candidature unique de l’opposition.
Qui donc pour challenger Paul Biya ? Qui peut challenger le régime ?
Sans toutefois faire dans la langue de bois, on va dire de manière étanche que le champ politique oppositionnel nous offre aujourd’hui, en termes de leadership, le professeur Maurice Kamto le candidat du mouvement pour la renaissance du Cameroun, qui s’affirme aujourd’hui comme le parti qui jouit de la popularité la plus considérable dans l’opposition, avec une structuration territoriale assez remarquable par rapport aux autres partis, et avec un leader qui revendique un certain charisme.
Avec un leader qui revendique un certain charisme, et il faut rappeler qu’aujourd’hui, ou depuis 2018, le parti le plus craint au Cameroun, c’est le mouvement pour la renaissance du Cameroun, donc sans toutefois rentrer dans la polémique, c’est le professeur Maurice Kamto, du le Mrc.
Entretien mené par Alphonse Jènè