« Nous avons de grands plans pour l’Asie centrale », déclare Sayed Zaher Shah. Il représente les talibans dans une zone économique flambant neuve, à la frontière entre l’Afghanistan et l’Ouzbékistan. Ce projet incarne la coopération croissante entre les talibans et l’Asie centrale. Pourtant, cette proximité suscite des inquiétudes. Les voisins de Kaboul redoutent une influence politique et religieuse qui dépasse les échanges commerciaux.
Les talibans ont pris le pouvoir il y a quatre ans. Au départ, les pays d’Asie centrale craignaient une montée de l’islamisme radical. Aujourd’hui, ils coopèrent sur le plan économique. L’Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et le Turkménistan ont mis de côté leurs inquiétudes sécuritaires.
« La politique de l’Émirat islamique est orientée vers une économie ouverte. Nous avons de bonnes relations avec tous nos voisins », explique à l’AFP M. Zaher Shah, envoyé des talibans dans la zone franche d’Airitom près de Termez, capitale régionale ouzbèke.
Le centre a ouvert à l’été 2024. Il ne facture ni TVA ni droits de douane. Il regroupe environ 300 commerces. On y trouve des restaurants, une bibliothèque et des salles de conférences. Un hôtel Hilton accueille les visiteurs. Un centre médical dernier cri propose des tarifs préférentiels.
Les Afghans passent par le « pont de l’amitié ». Ce pont relie l’Afghanistan à l’Ouzbékistan. En 1989, l’armée soviétique l’a emprunté pour quitter le pays. En 2021, des soldats afghans l’ont franchi pour fuir les talibans.
Adboul Qayom Karimi, 73 ans, s’y fait soigner faute de diagnostic établi à Mazar-e-Sharif, ville afghane à environ cent kilomètres d’Airitom.
« Mon neveu connaissait et m’a vanté cet endroit, donc j’ai voulu m’y faire examiner. Les médecins sont très compétents », assure-t-il après sa consultation.
Le bouche à oreille fait son travail entre Afghans.
« Nous avons entendu parler de ce centre. On va choisir quelles marchandises acheter puis nous voulons aller à la clinique faire un bilan de santé », dit Goul Ahmad Amini, sexagénaire venu en famille.
– « Climat de confiance » –
Chaque jour, plus d’un millier d’Ouzbeks visitent le centre. Jusqu’à 2 000 Afghans s’y rendent aussi. Ils bénéficient de quinze jours sans visa. C’est une exception rare, souligne Sanjar Sodikov, responsable chez Airatom.
Ce lieu reste sensible: des garde-frontières filtrent l’entrée, des barbelés recouvrent les murs d’enceinte, des policiers et des agents des services secrets ouzbeks en civil patrouillent, tendus par la présence de l’AFP.
Certains Afghans profitent de la climatisation, s’abritant des températures torrides et de l’air vicié par les tempêtes de sable.
Sur des murs à l’odeur de neuf, des citations du président ouzbek Chavkat Mirzioïev présentent Tachkent en chef de file de l’engagement avec Kaboul: « nous avons créé un climat d’ouverture, de confiance et de coopération en Asie centrale ».
Une autre assure que l’Afghanistan et l’Ouzbékistan, « amis depuis longtemps, sont unis par une atmosphère de respect mutuel, de confiance, et des liens étroits dans le commerce, les transports et les communications ».
L’Asie centrale reste enclavée. Pourtant, elle cherche à renouer avec son rôle historique de carrefour commercial mondial. Pour cela, l’accès aux mers du sud, via l’Afghanistan, devient crucial. D’autant plus que la route du nord, passant par la Russie, est perturbée par les sanctions internationales. Face à ces blocages, les pays de la région explorent de nouvelles voies pour relancer leurs échanges.
« L’objectif est de développer les relations commerciales avec l’Afghanistan et d’accéder aux marchés de l’Iran et du Pakistan par des itinéraires transfrontaliers », résume le responsable ouzbek Sodikov.
Les pays centrasiatiques lancent notamment d’importants projets d’infrastructures, comme des chemins de fer, rencontrant les intérêts des talibans.
L’Afghanistan, confronté selon l’ONU à une terrible crise humanitaire, a lui besoin de l’Asie centrale pour sa sécurité alimentaire et énergétique.
– Sécurité alimentaire et énergétique –
Ce rapprochement avec Kaboul ne date pas d’hier. En effet, il a commencé bien avant la reconnaissance des talibans par la Russie, intervenue cet été. Pourtant, des tensions persistent. Le canal afghan de Qosh Tepa inquiète. Il menace la fragile répartition de l’eau en Asie centrale.
Le Kazakhstan a retiré en 2024 les talibans de la liste des organisations terroristes pour des considérations « commerciales et économiques », l’Ouzbékistan multiplie les contacts diplomatiques et le Kirghizstan a appelé l’Occident à reconnaître les talibans.
Même le reclus Turkménistan s’implique via l’immense gazoduc TAPI (Turkménistan–Afghanistan–Pakistan–Inde) et le Tadjikistan, seul pays centrasiatique critique des talibans, a rapporté une nette hausse des échanges commerciaux.
A Airitom, plusieurs commerçants ont cependant indiqué à l’AFP rencontrer des difficultés.
« Les ventes baissent en raison des difficultés d’importer et d’exporter les marchandises. Les contrôles aux trois postes prennent trop de temps », regrette Khourssand Tourssounov, vendeur ouzbek de produits agricoles.
Le marchand afghan de tapis Abdoullah Torkaman dit « travailler à perte ».
« Il est autorisé d’exporter seulement 10 kilos de marchandises ou jusqu’à 200 dollars de biens par mois. La direction promet d’augmenter cette limite et que le commerce sera bientôt plus libre », espère-t-il.
Des difficultés qui ne freinent pas les projets conjoints.
Selon Sayed Zaher Shah, le responsable taliban, « il est prévu d’ouvrir un marché semblable en Afghanistan ».
Source : Agence France-Presse