Des milliers de manifestants ont réclamé mardi le départ du président malgache Andry Rajoelina, en investissant un quartier central d’Antananarivo. C’est une avancée majeure dans ce soulèvement populaire à Madagascar, qui a débuté jeudi et a déjà fait au moins 22 morts, selon l’ONU.
Dispersée par les gaz lacrymogènes tirés par les forces de l’ordre appuyées d’un véhicule blindé, la foule dense a fait une démonstration de force au lendemain de l’annonce du limogeage du gouvernement par le président pour tenter de calmer la contestation.
« Une petite bataille a été gagnée puisque le président a dissous le gouvernement », a déclaré à l’AFP Masova, une militante de 30 ans préférant recourir à un pseudonyme par peur de représailles, comme la plupart des manifestants.
– Un président arrivé au pouvoir par un coup d’État –
Le mouvement Gen Z est à l’origine des protestations, qui dépassent désormais la question des coupures d’eau et d’électricité. Ces problèmes touchent durement cette île pauvre de l’océan Indien. Mardi en début de soirée, aucun appel à manifester pour mercredi n’avait encore été lancé. Les consignes, souvent diffusées tardivement, circulent principalement en ligne.
Mardi, le mouvement Gen Z a réaffirmé sa détermination sur les réseaux sociaux. ‘La lutte ne s’arrête pas tant que les objectifs ne sont pas atteints’, a-t-il prévenu, malgré les annonces du président.
Mardi, dans le quartier central d’Ambohijatovo, les manifestants ont convergé en nombre. La foule a scandé ‘Rajoelina, dégage’ (‘Miala Rajoelina’). L’AFP a constaté cette mobilisation sur place.
Andry Rajoelina est arrivé au pouvoir en 2009. À l’époque, un soulèvement populaire contre le président Marc Ravalomanana a dégénéré en coup d’État. Soutenu par les militaires, Rajoelina a été installé à la tête de la Haute Autorité de transition.
« On veut vraiment du changement, un état de droit, de la justice pour tous. C’est pour ça que ce n’est plus un mouvement uniquement de la Gen Z », ajoutait la manifestante Masova, une des très nombreuses femmes mobilisées.
Le principal syndicat de la société nationale de distribution d’eau et d’électricité a annoncé mardi se mettre en grève générale.
– « Du changement » –
Très active en ligne, la Gen Z avait lancé un appel clair : venir équipés. Elle recommandait d’apporter de l’eau, des masques, des parapluies et des batteries. Objectif : pouvoir filmer les manifestations sans interruption.
Mardi, l’ordre des avocats de Madagascar a dénoncé des violations graves et répétées des droits humains. Il a aussi pointé des atteintes aux droits de la défense des manifestants. L’organisation a appelé les autorités à respecter la Constitution et les lois en vigueur.
Lundi soir, Andry Rajoelina a présenté ses excuses en direct à la télévision nationale. Pourtant, les manifestants, choqués par la répression, sont restés en colère. Son geste n’a pas suffi à apaiser les tensions.
Depuis jeudi, les manifestations ont fait au moins 22 morts et plus d’une centaine de blessés, selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Lundi, l’organisation a dénoncé des tirs des forces de sécurité sur des manifestants et des passants. Elle a aussi signalé des morts liées aux violences et aux pillages généralisés qui ont suivi.
Des chiffres contestés par le ministère malgache des Affaires étrangères.
– « Système corrompu » –
Le président a invité les candidats à des postes ministériels à envoyer leur CV par courrier, par mail ou même via LinkedIn. Cette annonce a rapidement suscité des moqueries sur les réseaux sociaux.
« Le président fait partie d’un système qui est corrompu », accuse une autre manifestante, ingénieure agronome de 30 ans.
Ancien maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina, 51 ans, a pris le pouvoir une première fois en 2009, soutenu par les militaires. Après s’être retiré, il a été élu président en 2018. Puis, en 2023, il a été réélu lors d’un scrutin très contesté, marqué par un boycott de l’opposition et de nombreuses accusations d’irrégularités.
Le mouvement Gen Z a repris le drapeau pirate du manga One Piece, déjà vu lors des contestations en Indonésie et au Népal. Baptisé en référence à la génération née autour de l’an 2000, ce mouvement a allumé une étincelle. Surtout, il ne s’est pas limité à la capitale.
– Un mouvement inédit depuis l’élection de 2023 –
Mardi, des centaines de personnes ont défilé. Ces manifestations ont eu lieu dans plusieurs grandes villes du pays, notamment Antsiranana au nord, Toamasina à l’est et Toliara au sud.
Il s’agit des manifestations les plus importantes depuis la période précédant l’élection présidentielle de 2023, boycottée par l’opposition.
À Antananarivo, hors du centre, la vie a repris son cours après les pillages généralisés de jeudi. Les écoles ont rouvert tout comme les grandes surfaces qui n’avaient pas été dévalisées. Enfin, les entreprises accueillent de nouveau leurs employés.
En dépit de ses richesses naturelles exceptionnelles, Madagascar – ex-colonie française, indépendante depuis 1960 – reste l’un des pays les plus pauvres de la planète. Près de 75 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2022, d’après la Banque mondiale. Et Transparency International classe le pays 140ᵉ sur 180 pays dans l’indice de perception de la corruption.
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