Depuis plusieurs mois, la désinformation sahélienne en Côte d’Ivoire s’intensifie. Des comptes liés aux juntes militaires sahéliennes orchestrent une campagne ciblée, diffusant de fausses informations pour semer le doute et affaiblir les institutions ivoiriennes. Parmi les récits propagés : la prétendue mort du président Alassane Ouattara et l’annonce d’un coup d’État. Objectif assumé : troubler la présidentielle du 25 octobre et fragiliser le processus démocratique.
Samedi matin, la police a dispersé de petits groupes à Abidjan. Pourtant, plusieurs publications ont grossi les faits. Elles ont présenté la scène comme une mobilisation massive. En réalité, la manifestation était limitée. Ainsi, la désinformation a amplifié la tension.
Un compte Facebook pro-Sahel affirme qu’un « soulèvement populaire intense » secoue Abidjan. Il publie des images de pneus et de véhicules en feu. Mais ces photos datent de plusieurs années. Certaines viennent d’Haïti, d’autres de Guinée. Ainsi, la désinformation alimente la confusion.
– La désinformation sahélienne s’infiltre dans le débat ivoirien –
Le 9 août, un groupe burkinabè relayait une alerte : « Des coups de feu à l’ouest d’Abidjan. Des dizaines de morts. » Mais aucun tir n’a été signalé. La manifestation était pacifique. Pourtant, la rumeur s’est propagée. Encore une fois, la désinformation a frappé.
Ce jour-là, des milliers d’opposants ont défilé dans les rues d’Abidjan pour protester contre un quatrième mandat du président sortant Alassane Ouattara. Mais aucun coup de feu n’a été tiré, ni même une vitrine brisée durant cette manifestation pacifique.
Plusieurs comptes très suivis ont diffusé de fausses alertes. Ils ont décrit une situation insurrectionnelle. Leur but : inciter au désordre. L’ANSSI, basée à Abidjan, les a identifiés. Encore une manœuvre pour troubler le processus électoral.
Fin mars, une autre campagne de désinformation visait à semer le doute sur la santé du président Ouattara.
Là encore, un profil burkinabè annonce le premier sa mort supposée à l’aide de fausses captures d’écran attribuées à France 24 et d’une infographie falsifiée attribuée à Jeune Afrique. De faux visuels largement relayés par des cyberactivistes proches de l’opposition ivoirienne.
– « Liens avec le Burkina » –
L’ANSSI a mené l’enquête. Les comptes à l’origine de la campagne sont liés au Burkina Faso. Ils soutiennent la junte au pouvoir. Leur objectif : déstabiliser la Côte d’Ivoire. Encore une attaque numérique ciblée.
Le Burkina s’appuie sur un réseau de cyberactivistes. Les BIR-C diffusent la propagande de la junte. Leur chef : Ibrahima Maïga, installé aux États-Unis. Son compte Facebook rassemble 1,3 million d’abonnés. Leur influence numérique est massive.
Des enquêtes indépendantes confirment l’implication de comptes liés aux juntes sahéliennes. Certains sont même contrôlés par ces régimes. Parmi eux, des proches directs de la junte burkinabè. Notamment deux frères du capitaine Ibrahim Traoré. L’influence numérique devient une arme politique.
Kassoum Traoré gère la communication du président sur les réseaux sociaux. Il est soupçonné d’être à la tête des BIR-C. Son frère aîné, Inoussa, est conseiller spécial chargé de l’Économie numérique. Tous deux sont liés à la propagande de la junte. Leur influence numérique inquiète les analystes.
Ce qui rend les BIR-C redoutables, ce n’est pas seulement leur audience : c’est leur agilité. Ils scrutent l’actualité, la capturent à chaud, puis la transforment en arme narrative. Chaque événement devient un prétexte, chaque image un levier.
Leur diffusion est fulgurante, orchestrée via des comptes à forte visibilité, capables de saturer l’espace numérique en quelques heures. Pour Jérémy Cauden, co-directeur d’Afriques Connectées, cette capacité à détourner et propager en réseau constitue le cœur de leur puissance. Dans cette guerre de l’attention, les BIR-C ne réagissent pas : ils anticipent, manipulent, dominent.
– Discréditer les démocraties voisines –
Par ailleurs, pullulent des comptes soutenant les juntes du Burkina, du Mali ou du Niger qui relaient toute critique du pouvoir ivoirien.
Le président Alassane Ouattara s’est montré intransigeant face aux coups d’État qui ont porté des militaires au pouvoir dans les trois pays entre 2020 et 2022.
Et Abidjan entretient de bonnes relations avec la France, ex-puissance coloniale à laquelle les juntes ont tourné le dos au nom de leur politique souverainiste pour se rapprocher notamment de la Russie.
« Les principaux narratifs concernent des allégations de coup d’État, d’un soulèvement contre Ouattara peu avant qu’il confirme sa candidature à un quatrième mandat et des affirmations selon lesquelles la France soutiendrait son pouvoir », explique Beverly Ochieng, analyste à la société Control Risks.
« Déstabiliser le processus électoral ivoirien permet aux juntes de détourner le regard sur leurs propres transitions et justifier leur maintien au pouvoir en discréditant les alternatives démocratiques voisines », dit l’analyste sécuritaire de la région.
Si aucune implication directe de Moscou n’a été documentée dans ces campagnes visant la Côte d’Ivoire, des chercheurs rappellent que la Russie a déjà aidé les juntes sahéliennes dans des opérations d’influence et de propagande, notamment pour amplifier leur écho.
Selon une source sécuritaire ivoirienne, la Côte d’Ivoire dispose d’un plan de riposte qui identifie les menaces quotidiennes, leurs impacts et les réponses à apporter. Ce plan « s’exécute avant et pendant les élections et continuera après », dit-elle à l’AFP sans plus de détails pour préserver le caractère « confidentiel » de cette mesure.
« Il y a eu des poursuites, c’est aux mains du parquet », ajoute-t-elle.
Une grande campagne de publicité baptisée « l’infox divise, l’information rassemble » est actuellement placardée dans les rues d’Abidjan.
Source: Agence France-Presse