Amatrice de voitures, Annastacia Mwende a grandi dans un bidonville kényan sans jamais penser qu’elle pourrait devenir mécanicienne. Elle est aujourd’hui la meilleure apprentie d’un garage.
Le Kenya a besoin de plus de personnes comme elle, qui se forment à des compétences pratiques débouchant sur de réelles opportunités d’emplois, selon des experts.
Le prestige du diplôme pousse encore de nombreux jeunes du pays d’Afrique de l’Est à se tourner vers des études telles que médecine, droit ou management, accessibles mais coûteuses, quel que soit l’établissement. Et qui ne leur garantissent pas un emploi dans un marché du travail sur-saturé.
Pourtant, certains métiers manquent de bras, notamment à Kibera, le plus grand bidonville kényan.
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« Vous pouvez chercher un plombier ici jusqu’à vous évanouir », déclare Martha Otieno, une animatrice de jeunesse pour CFK Africa, une association qui travaille avec les jeunes des bidonvilles. « De combien de managers avons-nous vraiment besoin ? », s’interroge-t-elle.
Comme dans le reste de l’Afrique, la population du Kenya est jeune, 80 % ayant moins de 35 ans, selon le gouvernement.
Accélérer le processus
Et leurs perspectives sont incertaines : la moitié de la population urbaine vit dans des bidonvilles et moins de 20 % des emplois se trouvent dans le secteur formel.
Plutôt que de courir après les rares emplois de cols blancs, CFK Africa soutient que les jeunes ont besoin de compétences pour progresser dans le secteur du « Jua Kali » (« soleil féroce » en swahili) : le monde informel, dans les bidonvilles, des entrepreneurs qui construisent, réparent et récupèrent.
« Si vous regardez les gens qui sont établis dans ces communautés, ce sont des artisans, mais il leur a fallu beaucoup de temps pour développer leurs compétences », selon le directeur de CFK Africa, Jeffrey Okoro.
L’association espère accélérer le processus avec un programme d’apprentissage expérimental.
Sa première cohorte de 100 jeunes de Kibera a été jumelée l’année dernière à des électriciens, des mécaniciens et d’autres « maîtres artisans » pour « faire en sorte que les jeunes puissent accéder de manière réaliste à des opportunités d’emploi ».
Annastacia Mwende, 20 ans, est un cas d’école.
Son amour pour les voitures lui est venu d’un père mécanicien qui « rentrait à la maison avec les mains sales ».
« Ca avait l’air vraiment amusant », relate celle qui a d’abord choisi d’étudier les ressources humaines à l’université, avant d’être contrainte d’abandonner la formation, faute d’argent.
CFK lui a financé un stage au garage « Timed Performance » dans une banlieue de Nairobi, où elle a été embauchée à temps plein au bout de quelques mois.
Elle répare des voitures, surtout allemandes, et se dit « amoureuse » de sa profession. « Je préfère faire ça plutôt que d’être médecin, pilote, avocate », assure-t-elle.
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De son côté, Nicholas Odhiambo, 22 ans, a fait un apprentissage dans un salon de beauté et a également été embauché.
« La plupart des gens pensent que ce travail est réservé aux femmes. Je voulais leur prouver qu’ils avaient tort », explique-t-il.
Saluant une opportunité « incroyable », il espère que le programme d’apprentissage du CFK aidera d’autres personnes à découvrir la vie en dehors du bidonville.
« La plupart des jeunes de Kibera pensent que c’est là qu’ils naîtront, grandiront et mourront », déplore-t-il.
Jane Anjili, sa « maîtresse artisane », a déjà formé trois autres apprentis, et est convaincue de la méthode.
« Si vous avez des compétences, vous pouvez travailler n’importe où, vous pouvez créer votre propre entreprise et être indépendant », affirme-t-elle.
– Potentiel –
Le professeur Renson Muchiri, économiste à l’Université KCA de Nairobi, estime que l’idée post-indépendance d’un diplôme amenant du prestige au village et garantissant un emploi dans le secteur public ne correspond plus à la réalité.
Le gouvernement a reconnu le problème au cours de la dernière décennie, mais ses programmes de formation professionnelle pour les jeunes sont parasités par la politique et souvent utilisés pour acquérir des votes dans certaines localités, tandis que les fonds sont mal alloués.
« Le gouvernement a porté le bon message, mais le cœur n’y est pas, » ajoute-t-il.
Il incombe aux organisations caritatives comme CFK Africa de combler le vide.
M. Okoro espère que le programme d’apprentissage de CFK Africa sera autonome et reproduit ailleurs.
« Nous avons le potentiel de déplacer l’histoire des bidonvilles vers des sites réellement productifs où des revenus sont générés et des produits fabriqués », déclare-t-il.
Source: Agence France-Presse