Le Conseil constitutionnel du Sénégal a invalidé mercredi une loi phare du nouveau pouvoir révisant l’amnistie votée sous l’ex-président Macky Sall, la jugeant « contraire à la constitution », selon un arrêt de la juridiction transmis à l’AFP.
Il s’agit d’un revers judiciaire pour les nouvelles autorités aux commandes depuis un an, qui avaient dit vouloir voir « les responsabilités établies ».
Une loi d’amnistie avait été adoptée en mars 2024, dans les dernières semaines de la présidence de Macky Sall (2012-2024), afin d’apaiser les tensions politiques qui ont secoué le pays entre 2021 et 2024. Lors de celles-ci, des dizaines de personnes ont été tuées et des centaines d’opposants arrêtés, dont l’actuel président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko.
Le 2 avril dernier, l’Assemblée nationale dominée par le nouveau pouvoir a approuvé une loi révisant la loi d’amnistie, une initiative très critiquée par la nouvelle opposition.
Le nouveau texte ouvrait la voie à des poursuites contre des hauts responsables de l’ex-régime concernant les événements de 2021 à 2024. Il indiquait que les meurtres, assassinats, crimes de torture et actes de barbarie étaient désormais exclus du champ d’application de la loi d’amnistie de mars 2024, sous certaines conditions.
– Décision historique –
Le Conseil constitutionnel, saisi par l’opposition mi-avril, a estimé que la nouvelle loi « est contraire à la constitution », selon son arrêt publié mercredi.
Ainsi, des faits relatifs à « l’assassinat, le meurtre, les crimes de torture, les actes de barbarie, les traitements cruels ou dégradants » étaient couverts par cette nouvelle loi s’ils avaient « un lien avec l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit démocratique », a souligné le Conseil.
Il a conclu qu' »en incluant » dans le champ de l’amnistie « des faits tenus pour criminels d’après les règles du droit international », le nouveau texte « viole la constitution », dans son arrêt.
Sénégal: le gouvernement promet « toute la lumière » sur les dizaines de morts entre 2021 et 2024
Le nouveau pouvoir du président Faye, vainqueur du scrutin présidentiel de mars 2024, avait promis d’abroger cette loi d’amnistie « pour que toute la lumière soit faite et les responsabilités établies ».
Mais c’est finalement une « proposition de loi interprétative », révisant le texte d’amnistie et précisant son champ d’application, qui avait été soumise par un député du parti au pouvoir, le Pastef, à l’Assemblée nationale où cette formation dispose d’une majorité absolue.
« Les dispositions internationales interdisent une amnistie des atteintes aux droits fondamentaux de l’homme. Si on ne vote pas cette loi, on aurait la censure des tribunaux internationaux », avait expliqué l’auteur de la proposition de loi, Amadou Bâ, devant ses collègues.
– Dizaines de morts –
Au moins 65 personnes ont été tuées – dont 51 par balles, en grande majorité des jeunes – pendant les manifestations à l’appel de l’opposition, selon le bilan établi par un collectif réunissant des journalistes et scientifiques. Nombre de jeunes ont aussi été blessés ou détenus.
Des responsables du pouvoir avancent un nombre de morts plus élevé, jusqu’à plus de 80.
Des magasins, des commerces et des station-service avaient également été attaqués et pillés par des manifestants.
Sénégal: un projet de loi d’amnistie controversé devant l’Assemblée
L’opposition accuse le parti au pouvoir de vouloir protéger ces derniers, des militants qui avaient selon elle manifesté, parfois de manière violente, contre le pouvoir de M. Sall avant l’alternance de 2024.
Elle reproche également à la nouvelle loi de cibler des responsables et membres des forces de l’ordre soupçonnés par l’ex-opposition d’abus contre ces mêmes militants.
Pendant les manifestations politiques entre 2021 et 2024, la présence d’hommes armés habillés en civil avait été relayée sur les réseaux sociaux et dénoncée par des défenseurs des droits humains.
Ces hommes ont été accusés par l’opposition de l’époque d’être des « nervis » au service du camp de Macky Sall pour prêter main forte aux policiers et gendarmes et réprimer les contestataires.
Source : Agence France-Presse