Scrutin terminé au Cameroun. Les électeurs ont voté, les urnes se sont refermées, et le dépouillement s’est achevé dans la soirée. Paul Biya, 92 ans, brigue un huitième mandat après 43 ans de pouvoir. Face à lui, 11 candidats. Parmi eux, Issa Tchiroma Bakary, son ancien ministre, qui suscite un engouement inattendu. Dans plusieurs quartiers, la rue s’est animée. Les premiers résultats officieux font réagir. L’attente commence. Et le pays retient son souffle.
À 18 h, les urnes se sont refermées. Le dépouillement a commencé aussitôt. Selon le ministre de l’Administration territoriale, le scrutin s’est déroulé « sans incidents majeurs ». Dimanche soir, lors d’une conférence de presse, il a salué le calme. Mais la tension reste palpable. Et les regards se tournent vers le Conseil constitutionnel.
Il a réitéré sa « mise en garde » à l’encontre des candidats ou des plateformes qui annonceraient des résultats avant le Conseil constitutionnel : « C’est la ligne rouge à ne pas franchir », a-t-il insisté.
Le Conseil constitutionnel a jusqu’au 26 octobre pour proclamer les résultats définitifs. En 2018, ils avaient été annoncés 15 jours après le scrutin.
À Garoua, la tension a éclaté. Fief d’Issa Tchiroma Bakary, la ville a vécu un épisode agité. Son véhicule est resté bloqué plus de trente minutes au milieu d’affrontements. Ses partisans ont croisé les forces de l’ordre. Puis, il a regagné son domicile. Depuis, les forces de sécurité le surveillent. Le climat se durcit. L’opposition est sous pression.
Huit millions d’électeurs sont appelés à voter. La plupart n’ont connu qu’un seul président : Paul Biya. Depuis 1982, il règne sans partage. Et depuis vingt ans, il dépasse les 70 % à chaque scrutin. Mais cette fois, l’enjeu semble différent. L’attente monte. Le système vacille. Peut-être.
-Surprise-
À Yaoundé, Paul Biya a voté. Accompagné de son épouse Chantal, il s’est rendu dans un bureau près du palais présidentiel. Devant la presse, il reste prudent : « Rien n’est acquis. Attendons qu’on connaisse le nom de l’élu.» Le ton est mesuré. L’incertitude, elle, est bien réelle. Le pouvoir joue la retenue. L’heure est à l’attente.
À la clôture du vote, des résultats partiels placent Issa Tchiroma Bakary en tête. Dans son fief de la Briqueterie, l’émotion déborde. Des centaines de personnes descendent dans la rue. Elles scandent : « Au revoir Paul Biya, Tchiroma arrive ». Le message est clair. L’ordre établi vacille. La nuit s’annonce agitée.
Dans une école du 5ᵉ arrondissement, Issa Tchiroma Bakary arrive en tête dans tous les bureaux de vote. Dr Gilbert, venu « surveiller son vote », ne cache pas son étonnement. « Tout s’est passé dans la transparence, démocratiquement. C’est une surprise pour moi.» Son candidat est en tête. Il se dit « très satisfait du résultat ». L’ambiance est calme, mais chargée d’attente. Le terrain électoral se redessine.
– Le doute s’installe –
Stéphane Akoa, politologue camerounais, reste lucide. « Il ne faut pas être naïf », prévient-il. Selon lui, le système en place dispose de nombreux leviers. Des moyens puissants pour orienter les résultats à son avantage. La méfiance grandit. L’équité du scrutin reste en question.
Ces derniers jours, elle s’est révélée « beaucoup plus animée » que d’ordinaire, observe Stéphane Akoa. Selon lui, « cette élection est peut-être plus susceptible de nous surprendre ». Le contexte reste lourd. En 2024, 40 % des Camerounais vivaient sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale. L’enjeu dépasse les urnes. C’est une bataille pour l’avenir.
Paul Biya a rompu le silence. Mardi, il est apparu en public pour la première fois depuis mai. Comme en 2018, il a tenu un meeting à Maroua. La région de l’Extrême-Nord reste stratégique : plus de 1,2 million d’électeurs. Le président sortant y joue sur un terrain familier. Visiblement en forme, il s’est adressé à ses partisans. Mais l’adhésion, elle, reste à mesurer.
– Contraste saisissant –
Ses 11 rivaux ont multiplié les apparitions publiques, promettant de tourner la page du long règne et de la main de fer du second président du Cameroun depuis son indépendance de la France en 1960.
Jeudi soir, son principal rival, Issa Tchiroma Bakary, 79 ans, qui a quitté en juin le gouvernement et rejoint l’opposition après 20 ans dans le giron présidentiel, a également tenu un meeting à Maroua.
Dans cette région, dont il est originaire, il a semblé susciter un élan populaire inédit, accueilli dans les rues par des milliers de partisans brandissant des pancartes louant « Tchiroma le Sauveur ». Un contraste saisissant avec le meeting de Paul Biya, tenu devant un public clairsemé de quelques centaines de personnes, contre 25 000 annoncées par son entourage.
Le principal opposant de Paul Biya, Maurice Kamto, deuxième à la présidentielle de 2018, a vu sa candidature rejetée par le Conseil constitutionnel. Plusieurs ONG comme Human Rights Watch (HRW) ont ensuite exprimé leurs inquiétudes sur la « crédibilité du processus électoral ».
– « Protéger le vote » –
Une partie des Camerounais se dit désabusée face à la perpétuation du « système Biya », alors que le chômage atteint 35% dans les grandes villes.
Mais dans ce pays où la moitié de la population a moins de 20 ans, « beaucoup de jeunes sont allés chercher leur carte d’électeur », a constaté le politologue Stéphane Akoa. Il y voit « un signal positif de changement, mais peut-être pas suffisamment fort pour faire descendre les jeunes dans la rue, comme on l’a vu à Madagascar, en Tunisie ou ailleurs ».
Les Camerounais se plaignent de la cherté de la vie, du manque d’eau potable, de soins de santé et d’éducation de qualité, mais ces frustrations restent à ce stade cantonnées aux réseaux sociaux.
Le ministère de l’Administration territoriale a autorisé 55 000 observateurs électoraux locaux et internationaux, dont l’Union africaine. Plusieurs plateformes ont prévu de compiler les résultats de manière indépendante, pour « protéger le vote » et les diffuser en ligne.
Le scrutin s’est déroulé à l’ombre du conflit meurtrier opposant des groupes séparatistes aux forces du gouvernement dans les régions à majorité anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Lors de la précédente élection en 2018, l’abstention y avait été particulièrement élevée.