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« Nourrir l’âme »: la vitalité renaissante du yiddish en Allemagne

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Le yiddish renaît en Allemagne. L’Unesco le classe comme langue en danger. Pourtant, festivals, ateliers et chants klezmer réapparaissent. Huit décennies après le génocide nazi, une culture que l’on croyait éteinte reprend vie. Et cette résurgence ne se limite pas à la mémoire : elle s’ancre dans le présent.

Weimar attire des milliers de visiteurs. Le festival yiddish bat son plein. Ateliers, cabaret, acrobaties : la culture renaît dans l’ex-Allemagne de l’Est. Chaque été, la ville devient scène vivante. Et cette effervescence ne relève pas du folklore : elle affirme une présence.

Ils venaient d’Amérique, d’Ukraine, d’Australie. Tous portaient le yiddish. Artistes et visiteurs confirmaient sa vitalité. Langue germanique, proche de l’allemand, elle résonnait dans les chants, les gestes, les mots. Et cette présence ne relevait pas du passé : elle s’affirmait au présent.

– Mémoire en musique –

Le klezmer s’impose. Violon et accordéon dictent ses rythmes entêtants. C’est la tradition juive ashkénaze la plus connue. Et sa popularité dépasse les cercles initiés : elle touche le grand public.

Le festival ne se limite pas aux traditions. À Weimar, le yiddish se réinvente. Rock psychédélique, formes hybrides, créations contemporaines : la langue s’ouvre à d’autres rythmes. Et cette audace ne trahit pas l’héritage — elle l’amplifie.

Le choix de la Thuringe n’est pas neutre. Un an plus tôt, l’AfD y dominait un scrutin régional. Parti d’extrême droite, anti-immigration, il y a trouvé un terreau. Et c’est dans ce même Land que le yiddish renaît. La tension est palpable.

Alan Bern a pris la parole. Il a appelé à défendre la diversité. Le concert se tenait sur une place autrefois dédiée au fascisme. Et ce contraste n’était pas fortuit : il portait un message.

Jana Wagner chante en yiddish. Elle parle d’un chant qui “nourrit l’âme”. Autour d’elle, les corps s’unissent. Une danse folklorique relie les participants. Et ce moment dépasse le simple rituel : il incarne une mémoire vivante.

– Shoah, puis assimilation –

Avant la guerre, le yiddish comptait plus de 10 millions de locuteurs. La majorité vivait en Europe. Cette langue structurait des communautés entières. Et son effacement n’a pas été naturel : il a été orchestré.

Après l’Holocauste, le yiddish dominait encore. C’était la langue des Juifs, partout dans le monde. Malgré les pertes, elle persistait. Et cette persistance n’était pas anodine : elle portait une mémoire.

Le yiddish recule. L’assimilation progresse. En URSS, aux États-Unis, en Israël, les Ashkénazes changent de langue. L’hébreu moderne s’impose. Et cette transition, souvent forcée, efface une mémoire.

Le yiddish reste vivant. Entre 500 000 et un million de personnes le parlent chaque jour. Principalement dans les communautés juives ultra-orthodoxes. Et cette pratique n’est pas marginale : elle structure un quotidien.

– Une langue en sursis –

Le yiddish est en danger. L’Unesco le signale en Allemagne, mais aussi dans toute son ancienne sphère d’influence : du Royaume-Uni à la Russie, de la Scandinavie à l’Italie, jusqu’en Israël. Et ce recul ne concerne pas seulement la langue — il touche une mémoire.

Le yiddish attire. Beaucoup ont un héritage juif. Mais pas tous. Certains cherchent une langue, d’autres une mémoire. Et cette quête dépasse les origines : elle touche à l’identité.

Le yiddish partage des racines avec l’allemand. Il croise le slave, touche le roman. Ces passerelles facilitent son apprentissage. Et cette proximité joue en sa faveur : elle le rend accessible.

Certains mots yiddish, à l’aspect expressif et souvent humoristique, ont infusé l’argot américain: « nosh » (un en-cas), « klutz » (une personne maladroite), « schlep » (porter quelque chose de lourd), « chutzpah » (confiance en soi ou audace portée à l’extrême).

Dérivé de l’allemand parlé au Moyen Âge, et aussi appelé judéo-allemand, le yiddish partage encore de nombreux mots avec l’allemand moderne.

« Pour les personnes dont l’allemand est la langue maternelle, il est assez facile à comprendre », estime Sabine Lioy, une retraitée de 66 ans.

– Refuser la « nostalgie » –

Au début du XXe siècle, Berlin était un endroit « absolument essentiel » pour les écrivains et artistes de langue yiddish qui voulaient « voir et être vus », rappelle le poète et activiste Jake Schneider, une voix importante de la scène culturelle yiddish contemporaine.

Aujourd’hui, la capitale allemande, réputée tant pour ses institutions culturelles que pour sa scène underground, est redevenue l’un des centres les plus importants de la vie yiddish laïque: expositions temporaires, scènes ouvertes, soirées dansantes…

Mais le « danger » serait de rester « coincés dans une boule de nostalgie et de mélancolie », estime Jake Schneider.

Débattre de l’identité juive et de la politique en yiddish constitue en ce sens un remède: à Weimar, Daniel Kahn, musicien réputé, a abordé le sujet douloureux des attaques du Hamas le 7 octobre et de la réponse militaire israélienne dévastatrice à Gaza.

« Leur mort ne ressuscitera pas les morts » et « leur faim n’est pas notre pain », a-t-il chanté, interprétant une œuvre du poète Zackary Sholem Berger, portant sur la guerre de Gaza.

Pour M. Kahn, les traditions yiddish multiséculaires permettent de « confronter le présent, et même l’avenir ».

 

Source: Agence France-Presse

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