Raila Odinga est mort mercredi à 80 ans, victime d’un malaise en Inde. Le Kenya est en deuil. L’opposition perd son chef. Le pays vacille. L’élection présidentielle de 2027 s’annonce explosive. Déjà, les équilibres politiques se déplacent.
Le Kenya pleure Raila Odinga. Des foules se sont rassemblées dans tout le pays. Cris, chants, larmes. L’opposant historique, battu cinq fois à la présidentielle, laisse un vide. En 2022 encore, il portait l’espoir. Aujourd’hui, c’est le deuil. Et l’incertitude.
Surnommé « Baba », Raila Odinga a dirigé le gouvernement de 2008 à 2013. Il incarnait la voix des Luo, l’une des plus grandes communautés du Kenya. Sa mort laisse un vide. Politique. Symbolique. L’opposition perd son pilier. Le pays, son contrepoids.
À l’aube du deuil national, William Ruto s’est présenté au domicile de Raila Odinga. Le chef de l’État, venu saluer l’homme qu’il avait combattu, a trouvé une foule en larmes. Des femmes criaient « Baba », comme on appelle un père, un guide.
D’autres agitaient des rameaux, geste ancestral de la tradition luo pour chasser le mal et honorer les morts. Ce matin-là, Nairobi s’est figée. L’opposition pleure son chef. Le pouvoir rend hommage à son rival. Et le Kenya, suspendu entre douleur et mémoire, entrevoit l’ampleur du vide.
Depuis le palais présidentiel, William Ruto a pris la parole. Il avait battu Raila Odinga en 2022. Aujourd’hui, il salue sa mémoire. Il parle d’un “grand homme d’État”, d’un “fils de l’Afrique”. Le ton est solennel. Le pays écoute. Le deuil devient national.
C’est au cœur d’une matinée paisible, dans les jardins d’un centre médical indien, que Raila Odinga s’est effondré. À ses côtés : sa sœur, sa fille, son médecin. Le geste était simple — une promenade, quelques pas. Puis le corps a lâché. Transporté en urgence, il a été déclaré mort peu après.
– Mort de Raila Odinga –
L’autopsie évoque une crise cardiaque. Mais pour le Kenya, c’est plus qu’un arrêt du cœur : c’est la fin d’un souffle politique, d’une voix qui, pendant des décennies, a incarné la lutte, l’espoir, la contradiction. Le silence qui suit est celui d’un pays qui perd son contrepoids.
Son corps devrait être rapatrié au Kenya jeudi et des funérailles d’État seront organisées dimanche, avec différents hommages dans les prochains jours.
Tous les magasins étaient fermés dans le bidonville de Kibera à Nairobi, un bastion de M. Odinga, et des personnes en deuil bloquaient les routes dans de nombreuses zones, dont son État d’origine, Kisumu (Ouest).
« C’est un mercredi sombre pour le Kenya, et pour le monde entier », a déclaré depuis le bastion de M. Odinga à Kisumu (ouest) Pablo Gila, leader de la jeunesse du parti de l’opposant. « Nous pleurons la mort d’une personne qui a combattu pour toutes les luttes politiques que nous avons menées dans ce pays », a-t-il ajouté auprès de l’AFP.
Né le 7 janvier 1945, Raila Odinga était issu d’une dynastie politique. Son père, Jaramogi Oginga Odinga, fut le grand perdant de la lutte pour le pouvoir après l’indépendance du Kenya en 1963, au profit du premier président, Jomo Kenyatta.
Cette figure de l’opposition kenyane a plusieurs fois été emprisonnée pour avoir combattu le régime à parti unique ou contrainte à l’exil sous la présidence autocratique de Daniel Arap Moi (1978-2002).
En 2007, sa contestation de la victoire de Mwai Kibaki dégénère en sanglantes violences ethniques, faisant plus de 1 100 morts et des centaines de milliers de déplacés.
– Influent –
Opposant à William Ruto, à l’origine de rassemblements contre la politique économique du gouvernement en 2024, il s’était depuis plusieurs mois rapproché du président, qui l’avait d’ailleurs soutenu en février pour le poste de président de la Commission de l’Union africaine, élection également perdue.
Un peu moins de deux ans avant la présidentielle, le Kenya « perd l’un de ses acteurs politiques les plus influents. Un grand homme qui a accompli de grandes choses », laissant le pays sur une voie incertaine, a déclaré l’analyste politique Barrack Muluka.
« Il jouissait d’une large audience nationale. On ne peut en dire autant de personne d’autre », a-t-il ajouté à l’AFP.
Puisque M. Odinga a mené presque seul l’alliance politique avec M. Ruto, qui l’avait battu lors du scrutin de 2022, celle-ci est désormais « morte et enterrée », a-t-il aussi estimé.
– « Panafricaniste » –
Réputé pour ses talents d’orateur, M. Odinga avait cependant vu son charisme s’éteindre quelque peu avec l’âge.
Son décès suscite une vive émotion au Kenya et dans le reste de la région où de nombreux dirigeants, ainsi que l’Union africaine, ont rendu hommage au leader « panafricaniste » et « visionnaire ».
Martha Karua, qui avait participé comme colistière à la campagne de M. Odinga en 2022 et est d’ores et déjà aussi candidate à la présidentielle de 2027, a salué dans un communiqué « un camarade inébranlable dans la lutte pour la seconde libération ».
Le Premier ministre indien Narendra Modi a déclaré sur X que M. Odinga était « un homme d’État imposant et un ami chéri de l’Inde ».
Source: Agence France-Presse