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Le dromadaire prend le relais pastoral face à la crise climatique au Kenya

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Le dromadaire prend le relais pastoral dans un nord du Kenya ravagé par la sécheresse. « Dieu, Dieu, Dieu, protège-les », implorent deux pasteurs, les yeux fixés sur une dizaine de dromadaires. Affamés, les animaux s’élancent vers les acacias épars. Ils franchissent sans hésiter le lit craquelé d’une rivière disparue, souvenir d’un temps où l’eau coulait encore. Dans cette terre brûlée, le dromadaire ne remplace pas seulement le bétail : il incarne la survie.

Depuis avril, pas une goutte. Le nord du Kenya s’assèche, s’épuise, s’efface. Les vaches ont disparu, vaincues par la soif. Les dromadaires, eux, avancent — symboles d’adaptation, mais aussi d’abandon.

Le cri des pasteurs n’est pas qu’une prière : c’est un appel au ciel, un cri de détresse lancé à l’univers. Car ici, même la foi semble s’évaporer avec l’eau.

Assis sur le rebord d’un puits à demi vidé, Chapan Lolpusike regarde l’horizon. Il parle sans colère, mais avec le poids de l’irréversible. « Tous morts », dit-il. Ses vaches, ses bœufs, ses repères.

La sécheresse n’a pas seulement tué le bétail — elle a effacé une vie. Quarante années, et jamais une telle désolation. Les pluies de 2021 et 2022 ont trahi leur promesse. Le ciel s’est fermé.

– Le règne du dromadaire –

Le puits, symbole de survie, devient le siège du deuil. Et Chapan, figé dans le silence du désert, incarne la fracture entre un passé fertile et un présent stérile.

« Nous n’avons plus de bovins à la maison », explique cet éleveur samburu, une ethnie semi-nomade, interrogé par l’AFP. « Nous élevons uniquement des chameaux », poursuit-il, en référence aux dromadaires, qui font partie de la famille des chameaux, ou camélidés.

Dans le nord du Kenya, la silhouette des dromadaires s’impose. Leur cou élancé, leur unique bosse, leur pas lent mais sûr.Ils progressent là où les autres s’effondrent, se nourrissant des rares pousses que la sécheresse a épargnées.

Ils supportent la soif pendant plus d’une semaine, sans fléchir, tout en offrant une abondance de lait. Jusqu’à six fois plus que les vaches, ces reines déchues du bétail traditionnel.

Dans cette terre brûlée par le réchauffement, le dromadaire n’est plus une alternative : il est devenu une réponse. Un symbole d’adaptation. Un survivant dans un monde qui bascule.

Les autorités du comté de Samburu ont lancé un vaste programme de sécurité alimentaire basé sur ces quadrupèdes en 2015, après plusieurs épisodes de sécheresse qui avaient décimé au moins 70% des bovins des zones arides et semi-arides kényanes, avec un impact dévastateur sur la malnutrition.

Quelque 5 000 dromadaires somalis – une espèce plus grande et plus productive que le cheptel autochtone – ont déjà été distribués, dont 1 000 durant l’année écoulée.

– Lait nutritif –

M. Lolpusike, qui ne connaissait rien aux camélidés, en a reçu en 2023.

Dans sa manyatta, un hameau de huttes rectangulaires établi dans une zone de savane arbustive, une dizaine de dromadaires sont allongés, mâchonnant paisiblement des herbes sèches.

Le but est qu’à terme, chaque famille du comté ait les siens, explique à l’AFP James Lolpusike, l’administrateur du village, qui n’a aucun lien familial avec l’éleveur. « Si la sécheresse persiste, les bovins disparaîtront », contrairement aux dromadaires qui les « remplaceront », observe-t-il.

Les camélidés restent moins bien connus que les bovins, admet le responsable. Certains de leurs troupeaux ont été décimés par les maladies, ont pointé plusieurs études.

Mais un changement positif est « visible » dans le nord et l’est de Samburu, où ces mammifères peuvent être observés en plus grand nombre le long des routes, et les enfants sont en meilleure santé, se félicite-t-il.

Dans la manyatta de Chapan Lolpusike, les habitants se réjouissent que les chamelles puissent être traitées jusqu’à cinq fois par jour.

« Les vaches, on ne les traite que lorsque l’herbe est verte », explique Naimalu Lentaka, 40 ans. « Les chamelles (…)  pendant la saison sèche, on les traite encore, et c’est là toute la différence », se réjouit-elle.

Dans la région, désormais, les familles « dépendent des chameaux, de ceux qui en ont », assure Naimalu Lentaka.

– Instrument de paix –

Le lait de dromadaire se rapproche du lait maternel. Même valeur nutritive. Même potentiel thérapeutique. Une étude kenyane l’a confirmé en 2022. Pendant les sécheresses, il devient vital.

Jusqu’à 50 % des nutriments consommés viennent de lui. Les communautés pastorales en dépendent. Le lait ne nourrit pas seulement. Il sauve.

L’animal est d’ailleurs une star dans la région, où une course d’endurance lui est dédiée. Au « derby international de chameaux de Maralal », une ville du comté de Samburu, une quarantaine de dromadaires se sont ébroués fin septembre devant une foule joyeuse.

Le vainqueur a parcouru 21 kilomètres, l’équivalent d’un semi-marathon, en 1 h 22, soit bien plus que nombre de coureurs de fond locaux.

Mais l’évènement visait surtout à promouvoir les « interactions culturelles pacifiques ». Parmi ses nombreuses vertus, le dromadaire incarne aussi la paix.

À l’approche de la saison sèche, les bovins ne peuvent pas rester. Ils sont conduits vers des terres plus vertes, plus clémentes. Mais ces terres ne sont pas vides. D’autres éleveurs y mènent leurs troupeaux, d’autres communautés y défendent leur survie.

Alors, les pâturages deviennent des frontières. Les points d’eau, des lignes de tension. Et les bergers, armés de bâtons ou de fusils, se transforment en combattants. Les affrontements éclatent, brutaux, meurtriers.

Des centaines de vies fauchées, non par la sécheresse, mais par la lutte pour ce qu’elle a rendu rare. Le bétail, jadis symbole de richesse et de paix, devient le déclencheur de guerres silencieuses. Dans le nord du Kenya, la terre ne nourrit plus — elle divise.

Mais les dromadaires, eux, restent sur place, se félicite l’administrateur James Lolpusike, et « réduisent les conflits ».

Mais même pour les résilients animaux, « nous avons besoin de plus d’eau », constate-t-il. « En réalité, (…) nous prions que la situation n’empire pas. »

Source: Agence France-Presse

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