Issa Tchiroma le présidentiable ne veut plus incarner le système. Après plus de vingt ans au gouvernement, le vétéran politique de 79 ans opère un virage radical. Il se présente désormais comme le porte-étendard du renouveau au Cameroun. À ses yeux, la présidentielle de dimanche l’a consacré vainqueur face à Paul Biya. Son objectif est clair : tourner la page d’un règne qu’il juge trop long, trop figé.
Grand, vêtu de ses boubous traditionnels, Issa Tchiroma Bakary attire les foules. Dans l’Extrême-Nord, ses meetings rassemblent des milliers de partisans. À Douala, la mobilisation reste forte. Le natif de Garoua impose sa présence.
L’engouement est tel que le journal Le Jour parle d’un « Tchiromavirus ». Le terme résume la ferveur autour d’Issa Tchiroma Bakary. À 92 ans, Paul Biya vise un huitième mandat. Tchiroma veut l’en empêcher.
Il s’est déjà proclamé vainqueur du scrutin de dimanche. Pourtant, les résultats officiels ne tomberont que le 26 octobre. En attendant, il campe sur sa victoire.
Maurice Kamto, l’ancien patron du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), était attendu pour barrer la route à M. Biya, mais sa candidature a été rejetée par le Conseil constitutionnel.
Lui aussi s’était proclamé vainqueur du scrutin présidentiel en 2018. Mais au lendemain du vote, c’est Tchiroma lui-même, alors ministre de la Communication, qui lui avait signifié qu’il était « manifestement hors la loi » et s’exposait à « la rigueur de la loi ».
Depuis, l’ancien porte-parole du gouvernement de Paul Biya s’est mué en champion de l’opposition.
– « Le moment est venu » –
En juin, les rumeurs se multiplient : Issa Tchiroma Bakary veut quitter le gouvernement. Il viserait même la présidence. Face à l’agitation, il prend la parole. À Garoua, devant ses partisans, il s’exprime en fulfuldé. Le ton est clair, la rupture nette. Il ne soutiendra plus Paul Biya. Selon lui, le président est « responsable des malheurs » du Nord. Ce discours marque un tournant. Tchiroma ne se contente plus de critiquer : il se positionne en alternative.
Quelques jours après son discours à Garoua, Issa Tchiroma Bakary passe à l’acte. Il annonce sa candidature. Le ton est solennel, mais tranchant. Il demande au régime de partir « avec dignité ». Il dénonce un système usé, incapable de répondre aux défis du pays. Pour lui, l’heure du changement a sonné.
L’opposition camerounaise peine à s’unir. Les candidatures se multiplient, sans consensus. Mais le 13 septembre, un tournant : un collectif de partis et d’acteurs de la société civile désigne Issa Tchiroma Bakary. Ce jour-là, il y a 67 ans, Ruben Um Nyobè tombait sous les balles de l’armée française. Pour Tchiroma, ce n’est pas un hasard. Il y voit un signe du destin, une continuité historique.
Il tente, en vain, de convaincre Bello Bouba Maïgari, autre candidat majeur du Nord, de le rejoindre.
-« Transition pour reconstruire » –
Le programme d’Issa Tchiroma Bakary s’articule autour d’une promesse forte : reconstruire le Cameroun. Il propose une transition de 3 à 5 ans, qu’il présente comme une phase de redressement national. Pour lui, 43 ans de pouvoir de Biya ont laissé le pays exsangue. Il veut rompre avec l’héritage, poser les bases d’un nouveau modèle.
Les soutiens inattendus s’accumulent. L’avocate des droits humains Alice Nkom appelle l’opposition à faire bloc derrière Issa Tchiroma Bakary. Rebecca Enonchong, entrepreneure tech respectée, nuance : « Il n’est pas notre avenir. Il est la clé pour le reprendre.» Elle salue un homme qui ne cherche pas à durer, mais à ouvrir une brèche.
Le candidat ne se limite plus au Nord. Il affirme avoir rallié des figures des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Ces territoires, ravagés par une guérilla depuis 2016, dénoncent l’abandon du pouvoir central francophone. En se posant en alternative, Tchiroma capte une colère longtemps ignorée.
Lors d’un meeting à Bamenda, Issa Tchiroma Bakary change de ton. Meurtries par des années de guerre et d’oubli, les populations du Nord-Ouest reçoivent enfin des excuses. Issa Tchiroma Bakary reconnaît son rôle : il a défendu un régime qui les a ignorées. Ce revirement marque une fracture. Ce mea culpa, rare en politique camerounaise, vise à restaurer la confiance. Il ne se présente plus en homme du système, mais en artisan du changement.
Pourtant, « ITB » comme le surnomment ses partisans, n’a pas toujours été dans le giron du pouvoir.
-« Bon diable »-
En 1984, Issa Tchiroma Bakary est au sommet de sa carrière. Haut-cadre à la compagnie ferroviaire nationale, il travaille à Douala. Mais le coup d’État avorté des fidèles d’Ahmadou Ahidjo change tout. Il est arrêté, emprisonné. Ce basculement marque le début d’un long parcours politique, forgé dans les turbulences du pouvoir.
Libéré après sept années de détention, Issa Tchiroma Bakary ne reste pas silencieux. En 1991, il organise une marche contre le pouvoir de Paul Biya. Le geste est fort, frontal. Pourtant, quelques années plus tard, il entre au gouvernement. Il y occupera des fonctions pendant plus de deux décennies. Ce retournement, souvent critiqué, illustre la complexité de son parcours : entre opposition et loyauté, entre rupture et compromis.
Pour beaucoup, cet homme est perçu comme un recours inattendu, surnommé, non sans ironie, « bon diable » par ses supporters.
Le rejet du régime Biya dépasse les cercles politiques. À Yagoua, l’évêque Barthélémy Yaouda prend la parole depuis l’autel. Il dénonce ouvertement une nouvelle candidature du président. Sa phrase claque : « Même le diable » ferait un meilleur successeur. Ce sermon, rare dans sa virulence, résonne comme un signal spirituel d’exaspération nationale.
Source: Agence France-Presse