Communauté bédouine harcelée : dans la vallée du Jourdain, en Cisjordanie occupée, Naef Jahaline vit dans l’angoisse. Les colons israéliens s’installent sur les terres de leurs ancêtres, menaçant l’une des dernières communautés bédouines d’éleveurs de la région. Chaque jour, la pression augmente : coupures d’eau, routes bloquées, surveillance constante. À Ras Ein al-Auja, la peur s’installe, mais la résistance s’organise. Naef, comme d’autres, refuse de partir. Il garde sa terre, son troupeau et son droit de rester.
La vie était belle auparavant à Ras Ein al-Auja, raconte cet éleveur bédouin, mais les avant-postes se sont multipliés les uns après les autres au cours des deux dernières années.
Les mobile-homes ont progressivement cédé la place à des maisons en dur, certaines construites à seulement une centaine de mètres des habitations bédouines.
En mai, des colons ont détourné la ressource la plus précieuse du village, la source qui lui a donné son nom.
Mais pour cette communauté de 130 familles, le pire reste la nécessité constante de monter la garde pour empêcher les colons de couper l’électricité, les canalisations d’irrigation ou d’amener leurs propres troupeaux paître près des habitations.
« Les colons provoquent les gens la nuit, en se promenant autour des maisons, en dérangeant les habitants, en stressant les gens, en effrayant les enfants et les personnes âgées », déclare M. Jahaline, 49 ans, ajoutant que les appels à la police israélienne dans la région donnaient rarement des résultats.
« Il n’y a pas de véritable protection », dit-il à l’AFP après une réunion avec d’autres villageois visant à s’organiser face à cette menace croissante.
– « Vous faire partir » –
La plupart des Bédouins palestiniens sont des éleveurs, ce qui les expose particulièrement à la violence lorsque des colons israéliens amènent leurs troupeaux qui entrent en concurrence pour les pâturages.
Il s’agit d’une stratégie que les organisations de surveillance de la colonisation qualifient de « colonialisme pastoral ».
« Ils (les mouvements pro-colonies, NDLR) ont commencé à faire venir des colons juifs, à leur donner un petit troupeau ou quelques moutons ou vaches, à s’emparer d’une zone spécifique, et à partir de là, ces colons armés commencent à élever du bétail », explique à l’AFP Younes Ara, de la Commission de résistance à la colonisation et au mur de l’Autorité palestinienne.
Les colonies se sont développées depuis l’occupation de la Cisjordanie par Israël en 1967. Hors Jérusalem-Est annexée, plus de 500.000 Israéliens vivent aujourd’hui dans des colonies, régulièrement condamnées par l’ONU comme illégales au regard du droit international, au milieu de trois millions de Palestiniens
Selon M. Jahaline, le pâturage, combiné à du harcèlement, vise à pousser les Palestiniens à quitter les zones qui intéressent les colons israéliens.
« On ne sait jamais quand ni comment ils vont vous harceler. Tandis qu’il surveille le ravin, éclairé par sa torche, il observe les colons déposer des provisions. Puis il lâche : « Le but est de vous faire partir. »
Cette nuit-là, il marche aux côtés de Doron Meinrath. Ancien militaire, ce dernier encadre des volontaires pour l’organisation israélienne « Regarder l’occupation dans les yeux ».
Des militants étrangers et israéliens montent la garde. Ils surveillent les colons, alertent la police ou l’armée, et tentent de dissuader la violence. Ils se relaient toutes les huit heures, jour et nuit.
La route, construite il y a quelques mois, relie l’avant-poste à la colonie. En voyant une voiture la descendre, M. Meinrath lance : « Allons les chercher. »
– Véhicule dangereux –
Une fois la Toyota rattrapée — conduite par un jeune, avec un phare manquant et un pare-brise fissuré — M. Meinrath relève la plaque. Il la signale aussitôt à la police comme véhicule dangereux.
Le ministre des Finances Bezalel Smotrich, figure de l’extrême droite, exige l’annexion de la Cisjordanie. D’autres membres du gouvernement le soutiennent, surtout pour la vallée du Jourdain.
La menace pèse sur Ras Ein al-Auja. Abou Taleb, 75 ans, affirme que la terre de son enfance change déjà.
Sa communauté était autrefois autosuffisante. Les colons ont bloqué la source. Depuis, lui et ses fils paient pour remplir le réservoir. Ils doivent abreuver leurs moutons tous les trois jours.
Depuis l’arrivée de la nouvelle colonie, Abou Taleb ne se sent plus en sécurité. Elle est juste à côté.
« Mon enfance était heureuse. Pourtant, leur vie ne l’est pas », lâche-t-il, en désignant ses trois petits-enfants qui jouent sous l’acacia.
« Ils ont grandi dans de mauvaises conditions, partout où ils vont, ces enfants ont peur des colons. »
Source: Agence France-Presse