Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a promulgué mardi une loi controversée qui supprime l’indépendance des agences anticorruption, une initiative qualifiée de « sérieux recul » par l’UE, qui s’est dite « profondément préoccupée ».
« Revenu avec la signature du président ukrainien », a indiqué le site du Parlement ukrainien dans la soirée. Le message a brièvement disparu après sa publication, avant de réapparaître.
Un haut responsable ukrainien a confirmé à l’AFP que le président Zelensky avait signé le projet de loi.
L’adoption de la loi par les députés ukrainiens, au lendemain de l’arrestation contestée d’un responsable travaillant dans l’une de ces structures, a suscité les critiques de militants et ONG en Ukraine qui s’inquiètent d’un recul démocratique dans le pays, en pleine guerre contre la Russie depuis l’invasion lancée par Moscou en février 2022.
– État de droit en Ukraine –
La Commission européenne, par la voix de la commissaire chargée de l’élargissement de l’Union européenne, Marta Kos, s’est dite « profondément préoccupée » par le vote de mardi, estimant qu’il s’agissait d’un « sérieux recul » de l’Ukraine en matière de lutte contre la corruption.
Le respect de « l’État de droit reste au cœur des négociations d’adhésion » de l’Ukraine à l’UE, a-t-elle ajouté.
La corruption est un mal endémique en Ukraine depuis de nombreuses années mais le pays avait fait des progrès en créant notamment, respectivement en 2014 et en 2015, une instance d’enquête, le Nabu, et un parquet dédié, le SAP, spécialisé dans ces affaires.
Mardi, le Parlement a voté à 263 voix pour, 13 contre et 13 abstentions, pour subordonner les activités de ces deux structures au procureur général, lui-même subordonné au président. Une mesure qui supprime de fait leur indépendance.
En visite en Ukraine, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, avait affirmé à son homologue ukrainien, Andriï Sybiga, qu’il était encore temps d’agir concernant cette loi avant qu’il ne soit trop tard, avait rapporté mardi une source diplomatique à l’AFP.
– Des instances « essentielles » selon l’UE –
« Aujourd’hui, avec les votes de 263 députés, l’infrastructure anticorruption a été détruite », a regretté lors d’une conférence de presse le directeur du Nabu, Semion Kryvonos, avertissant que la loi permettra qu’existent « des personnes intouchables » en Ukraine.
Le texte « détruit effectivement l’indépendance de ces deux institutions vis-à-vis de toute influence politique et pression sur nos enquêtes », a abondé le chef du SAP, Oleksandre Klymenko, appelant M. Zelensky.
Selon le député Roman Lozinsky, ce texte accorde au procureur général le pouvoir de gérer le SAP, de donner des « instructions écrites obligatoires » au Nabu et d’avoir accès aux détails de n’importe quelle affaire et de les déléguer au procureur de son choix ou à d’autres agences.
Anastassia Radina, à la tête du Comité anticorruption du Parlement, a dénoncé auprès de l’AFP un texte qui « va à l’encontre de (…) nos obligations dans le cadre du processus d’intégration à l’UE ».
Quelques heures avant le vote, un porte-parole de l’UE, Guillaume Mercier, avait souligné que ces deux instances étaient « essentielles au programme de réforme » que l’Ukraine s’est engagée à mener pour pouvoir adhérer à l’Union européenne.
Depuis Kiev, après le vote, un diplomate européen, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a qualifié cette décision de « regrettable ».
« Est-ce un revers ? Oui. Est-ce un point de non-retour ? Non », a ensuite nuancé ce responsable, s’exprimant auprès d’un petit groupe de journalistes, dont de l’AFP.
– Arrestation d’un responsable anti-corruption –
Lundi, les services de sécurité ukrainiens (SBU) avaient annoncé l’arrestation d’un responsable du Nabu soupçonné d’espionnage au profit de Moscou, et ont perquisitionné les locaux de l’organisation, qui rejette ces accusations.
Cette arrestation a notamment été dénoncée par la branche ukrainienne de l’ONG anticorruption Transparency International, selon laquelle ces perquisitions sont illégales et « visent à obtenir de force des informations et à influencer les enquêtes menées sur des hauts responsables ».
Elle a fait état dans un communiqué d’une « pression systématique » des autorités à l’encontre des structures anticorruption en Ukraine.
Avant le vote de mardi, les militants ukrainiens s’étaient déjà inquiété des récentes poursuites judiciaires visant Vitaliï Chabounine, directeur d’une des principales ONG de lutte contre la corruption.
Selon des médias ukrainiens, ces mesures interviennent alors que le Nabu et le SAP s’apprêtaient à inculper l’ex-ministre de l’Unité nationale Oleksiï Tchernychov et alors que les deux instances enquêtaient sur l’ex-ministre de la Justice Olga Stefanichina.
Source : Agence France-Presse