À Antananarivo, les jeunes manifestants de la Gen Z portent un « vent de changement » sur l’île. Inspirés par les mouvements populaires venus du Népal, ils revendiquent leur engagement à travers des symboles forts, comme le drapeau pirate tiré du manga One Piece. Ce souffle contestataire, nourri par une volonté de rupture, embrase Madagascar et reflète une aspiration profonde à la transformation politique et sociale.
Au moins 22 personnes ont été tuées depuis jeudi, selon l’ONU. Ces décès sont survenus lors des manifestations à Katmandou. Trois participants ont partagé leur expérience avec l’AFP. Ces événements ont déclenché leur révolte. Grâce à ce sursaut, ils ont abandonné une forme de résignation.
Âgés de trente ans au plus, ils s’expriment tous sous couvert d’anonymat par peur de représailles. L’île de l’océan Indien est classée 113ᵉ sur 180 au classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières.
La peur a été ressentie pendant plusieurs années. Elle continue encore aujourd’hui. Ce constat a été partagé par Meva, une ingénieure agronome de trente ans, qui témoigne sous pseudonyme. En tant que millennial, elle exprime une forme de colère envers elle-même. En effet, malgré ce qu’elle a observé pendant des années, aucune action n’a été entreprise.
– Une jeunesse majoritaire mais longtemps silencieuse –
La jeunesse représente l’écrasante majorité des habitants de l’île, d’après l’Unicef. Quelque 20,9 millions des près de 30 millions de Malgaches avaient moins de 30 ans en 2023.
« Ça faisait longtemps que je voulais faire partie d’un mouvement mais j’avais peur pour ma sécurité », explique un étudiant de 28 ans, qui ne souhaite pas qu’apparaisse son identité. Ce membre actif du mouvement Gen Z dénonce la « volonté de tout contrôler » de ce « régime répressif ».
Pendant des années, des excuses ont été trouvées. La pauvreté a été acceptée comme une fatalité. « On s’est dit que ce n’était pas si important », témoigne un entrepreneur de 28 ans. Ce dernier a rejoint le mouvement plus tard, au fil des événements.
La corruption a été dénoncée comme un problème majeur. En plus des droits humains, ce sujet a été mis en avant par de nombreux manifestants. Parmi eux, celui qui se fait appeler Luffy, en référence au héros du manga One Piece, a insisté sur ce point.
– « C’est notre tour » –
« La population malgache s’est principalement dit qu’il n’y avait plus de solution, qu’il fallait juste accepter notre sort. Et quand on a vu que le Népal s’est soulevé, on s’est dit qu’en fait c’était possible, que ce n’était pas la fin, qu’on avait une chance », analyse Meva, avant de lancer « c’est notre tour ».
En 2022, la pauvreté a été largement répandue. Selon la Banque mondiale, 75 % de la population malgache vivaient alors sous le seuil de pauvreté. La Banque mondiale a fixé le seuil de pauvreté à 4 000 ariary par personne et par jour. Ce montant équivaut à moins de 80 centimes d’euro au taux actuel. Ce chiffre confirme l’ampleur de la précarité économique à Madagascar.
« J’ai vu ce qu’il s’est passé au Sri Lanka d’abord en 2021 et puis après il y a eu l’Indonésie, le Bangladesh et après le Népal », se remémore l’étudiant de 28 ans. « One Piece est devenu le symbole de la libération quoi », résume-t-il.
L’île a des liens privilégiés avec l’Asie. Des origines asiatiques ont été attribuées à une partie de la population malgache. En effet, le malagasy est une langue austronésienne, tout comme l’indonésien. Les jeunes Malgaches choisissent souvent Jakarta pour leurs études supérieures. Cette préférence s’explique, entre autres, par les liens culturels et linguistiques entre Madagascar et l’Asie du Sud-Est.
– Madagascar face à une crise de confiance institutionnelle –
Le gouvernement a été limogé. Parmi les personnes concernées figure Christian Ntsay, Premier ministre depuis 2018. Ce dernier, souvent critiqué, avait été nommé sous le précédent président. Toutefois, selon Meva, cette décision reste insuffisante.
« L’annonce du Président, je l’ai prise comme une tentative de nous amadouer et surtout de nous diviser. Elle dénonce une tentative de manipulation. Selon elle, le gouvernement cherche à apparaître comme seul responsable. Les ministres sont présentés comme la source principale de la corruption. Par conséquent, elle soupçonne une stratégie visant à détourner l’attention.
Transparency International classe Madagascar à la 140ᵉ place sur 180 pays. Ce classement figure dans son indice de perception de la corruption. Ce positionnement souligne le caractère endémique du phénomène. La communauté internationale reconnaît la gravité de la situation. Ce constat découle directement du classement de Madagascar dans l’indice de perception de la corruption.
La suite est déjà envisagée par Luffy. Selon lui, la démission du président Andry Rajoelina ne serait pas, toutefois, la seule composante de la solution.
« On doit aussi réfléchir à qui va diriger, quelle structure va être mise en place. Est-ce qu’on va se référer à la Constitution ? », s’interroge-t-il. « Et dans ce cas, la solution est mauvaise puisque le président du Sénat (qui assurerait l’interim du président, ndlr) est corrompu… ? C’est tout un tas de questions qui s’ouvrent. »
Source : Agence France-Presse
