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Sénégal: à Thiaroye, des archéologues explorent un cimetière pour élucider un massacre de tirailleurs

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Trans Afrique

Le massacre de tirailleurs à Thiaroye refait surface. À Thiaroye, le sol ne repose plus. Les fouilles ont éventré la terre, soulevé les mottes, disloqué les dalles. Chaque fragment déplacé raconte une histoire enfouie. Le cimetière, longtemps figé dans le silence, expose ses cicatrices. Et sous ces fissures, la mémoire cherche à remonter. Le cimetière militaire de Thiaroye, près de Dakar, expose ses blessures. En 1944, l’armée française y a tué des tirailleurs africains qui réclamaient leur solde. Aujourd’hui, les excavations ont mis au jour des squelettes. Et le passé refait surface, brut.

Une équipe de l’AFP a pu se rendre en exclusivité sur le lieu de ces fouilles sans précédent.

Des caissons bleus remontent à la surface. Ils étaient enfouis dans le périmètre fouillé par les archéologues. Le cimetière de Thiaroye, près du camp militaire, montre ses cicatrices. C’est là que des tirailleurs ont été massacrés en 1944. Et les traces remontent, visibles, brutales.

Le 4 novembre 1944, 1 600 tirailleurs embarquent. Ils embarquent, le corps marqué par la guerre, l’esprit par la captivité. Soldats africains, anciens prisonniers des Allemands, ils ont combattu pour la France. En novembre 1944, ils quittent l’Europe, croyant rentrer chez eux. Mais ce retour n’est pas une délivrance. C’est le seuil d’un drame. À Thiaroye, l’histoire ne les accueille pas : elle les broie. Et ce voyage, censé clore un chapitre, ouvre une blessure coloniale qui ne cicatrise pas

Après leur arrivée au camp de Thiaroye, ils se révoltent contre le retard du paiement de leurs arriérés de soldes.

– Thiaroye, mémoire enfouie sous les baobabs –

Le 1er décembre 1944, à l’aube, l’armée coloniale française ouvre le feu. Les tirailleurs africains tombent. Originaires du Sénégal, du Soudan français, de Côte d’Ivoire, de Guinée, de Haute-Volta, ils réclament leur solde. L’armée coloniale répond par les armes. Ils sont massacrés.Le nombre de morts reste flou. Leurs tombes, incertaines. Et les circonstances, toujours opaques.

Le traumatisme de ce massacre reste vif au Sénégal et dans les pays concernés.

Le cimetière de Thiaroye a été créé en 1926 par la France coloniale pour y enterrer les soldats « indigènes ».

Des chercheurs l’affirment. Des tirailleurs tués le 1er décembre 1944 reposent ici. Enterrés dans des fosses communes. Sans nom. Sans reconnaissance.

L’armée sénégalaise en avait interdit l’accès quand ces fouilles ont débuté en mai dernier.

Les archives françaises restent verrouillées. Le Sénégal n’y accède pas. Alors, il faut creuser. Le sous-sol devient la seule source. Le colonel Saliou Ngom, directeur des archives de l’armée sénégalaise, l’affirme : « Il faut faire parler la terre. »

Le cimetière compte 202 tombes blanches anonymes.

Les archéologues fouillent sous l’un des deux grands baobabs. L’arbre veille. L’ombre couvre les gestes. La mémoire s’ouvre dans le silence.

Le baobab aime le calcaire. C’est un arbre calcicole. Là où il pousse, il y a souvent des ossements. Le professeur Mamadou Koné le confirme. Il conseille les archives militaires sénégalaises. Et il sait ce que cache la terre.

– Traces de violences –

Le 16 octobre, des chercheurs remettent un Livre blanc. Le Livre blanc, transmis au président Bassirou Diomaye Faye, désigne le massacre du 1er décembre 1944 comme un acte prémédité. Et de camouflage. Les mots sont clairs. L’acte, lourd.

La France parle de 70 morts. Le Livre blanc conteste. Il évoque 300 à 400 tirailleurs tués. Certains sont enterrés à Thiaroye. Le chiffre officiel s’effondre. Et la vérité se creuse.

Pour le colonel Ngom, « contrairement à la thèse selon laquelle il n’y avait pas de corps (enterrés dans le cimetière), les archéologues ont trouvé sept squelettes. C’est une étape très importante dans la recherche de la vérité historique ».

Sept tombes ont été ouvertes. Elles font partie d’un premier lot de 34 sépultures. L’archéologue Moustapha Sall le confirme. Les fouilles avancent. Et la vérité s’extrait, tombe après tombe.

« Un squelette renferme une balle dans son côté gauche (à) l’emplacement du cœur. D’autres sont dépourvus de colonne vertébrale, de côtes ou de crâne. Des individus sont inhumés avec des chaînes en fer aux tibias. Ça veut dire qu’ils ont subi des violences », dit-il.

« Les tombes sont postérieures aux inhumations et des parties des squelettes dépassent l’emplacement des tombes. M. Sall avance une hypothèse. Les tombes auraient été construites après les inhumations. Ou mises en scène pour simuler un enterrement décent. Le doute plane. Et la vérité vacille.

« Trois des sept squelettes trouvés sont dans des coffrages en bois. Des individus portent des brodequins, des boutons et des pattes de collet. Des anneaux et des bagues ont aussi été retrouvés dans des tombes », ajoute-t-il.

– Etudes génétiques et balistiques –

« Les résultats préliminaires ne permettent pas de répondre à toutes les questions (sur le massacre). Il faut compléter par des études génétiques. Des prélèvements d’ADN permettront de déterminer l’origine des individus.

Des experts balistiques vont intervenir. Ils analyseront le matériel militaire retrouvé. Ils identifieront les balles. Et les armes utilisées. Moustapha Sall l’annonce. La technique rejoint l’histoire.

Le sous-sol est fragile. La nappe phréatique affleure. Le gouvernement sénégalais réagit. Il commande un radar de pénétration du sol. Objectif : explorer plus profondément. Et ne rien laisser enfoui.

« Cela fait 81 ans qu’on est à la recherche de la vérité historique. Si le sous-sol nous donne (cette vérité), il n’y a rien de plus significatif », souligne le colonel Ngom.

Le président Faye agit. Il veut honorer la mémoire des soldats coloniaux. Il valide la poursuite des fouilles. Partout où des fosses communes sont possibles. L’ordre est clair. Chercher. Trouver. Nommer.

Le président Emmanuel Macron parle. Il reconnaît un massacre. Celui de Thiaroye, en décembre 1944. Les forces coloniales françaises ont tué. Le mot est lâché. Et l’État français, enfin, nomme l’acte.

Source: Agence France-Presse

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