Présidentielle au Cameroun : l’absence de Paul Biya interroge à la veille du lancement officiel de la campagne Avant le coup d’envoi samedi de la campagne présidentielle au Cameroun, une question domine : où est Paul Biya ? Chef d’État le plus âgé au monde, il briguera un 8ᵉ mandat le 12 octobre. Mais son silence et ses absences répétées alimentent les spéculations. Et renforcent la défiance d’une partie de l’opinion.
Le président sortant, au pouvoir depuis 1982, a quitté le Cameroun dimanche pour un « voyage privé en Europe », a indiqué la présidence dans un communiqué officiel, sans en préciser le lieu exact, la durée ou le motif.
Le chef de l’État, âgé de 92 ans et aux rares apparitions publiques très scrutées, est selon une source diplomatique arrivé à Genève, sa destination favorite depuis plus de 50 ans pour des séjours privés.
En septembre 2024, l’un des séjours suisses de Paul Biya avait déclenché une vague de spéculations. Son absence prolongée avait nourri des rumeurs de décès. Face à l’ampleur de l’inquiétude, le gouvernement avait dû publier un communiqué inhabituel.
Objectif : rassurer la population sur l’état de santé du président. Mais ce silence officiel, suivi d’un démenti tardif, avait renforcé la défiance. Ainsi, chaque départ à Genève devient plus qu’un voyage : un révélateur des tensions politiques et institutionnelles. Et un symbole d’un pouvoir perçu comme distant, voire opaque.
Cette fois-ci, Paul Biya apparaît visiblement en forme. Dans la vidéo diffusée par la présidence, on le voit quitter le Cameroun entouré de son épouse Chantal et de trois conseillers.
Le chef de l’État marche d’un pas assuré, souriant, saluant les officiels. Cette mise en scène tranche avec les rumeurs sur sa santé.
Elle vise à rassurer, à réaffirmer son autorité. Mais pour ses opposants, elle ne suffit pas. Car le fond du malaise reste politique. Et le départ, même bien orchestré, ravive les critiques sur son absence prolongée.
– « Ne suivez pas mes conseils » –
Outre la proximité de la présidentielle, pour laquelle il part grand favori face à une opposition divisée, son voyage intervient dans un contexte familial tendu.
Dans la nuit du 17 au 18 septembre, quelques jours avant son arrivée en Suisse, sa fille, Brenda Biya, habituée de l’InterContinental, un palace de Genève, a publié une vidéo sur TikTok où, visiblement désabusée, elle appelait les Camerounais à ne pas voter pour son père.
Si la vidéo a rapidement été supprimée de son compte, elle a quand même circulé et déclenché une vague de réactions avant que Brenda Biya ne poste, le 21 septembre, une nouvelle vidéo d’excuses. « La politique, je n’y connais rien de rien. Suivez pas mes conseils », y déclare-t-elle.
La fille du président a également eu des démêlés avec la justice genevoise: le 4 juin dernier, elle a été condamnée pour diffamation à la suite d’une plainte déposée par une artiste camerouno-nigériane qui dénonçait notamment des insultes et des mensonges la visant sur les réseaux sociaux.
Le texte du jugement note au passage que « la famille (de Brenda Biya) se rend fréquemment à l’hôtel InterContinental à Genève où des chambres lui sont louées à l’année ».
En 2018, le consortium OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project) avait révélé une donnée frappante : Paul Biya aurait passé environ 4,5 années de sa présidence à l’étranger, principalement à Genève, depuis son arrivée au pouvoir. Le coût estimé de ces séjours ? 65 millions de dollars.
Ce chiffre alimente les critiques sur la gouvernance et les priorités présidentielles. D’autant plus que ces absences prolongées contrastent avec les crises internes que traverse le Cameroun. Ainsi, Genève devient le symbole d’un pouvoir éloigné, à la fois géographiquement et politiquement. Et pour la diaspora, chaque séjour helvétique ravive une colère persistante.
– Campagne à distance –
Le 12 octobre, Paul Biya briguera un nouveau septennat présidentiel face à 11 autres candidats.
Des rumeurs non confirmées annoncent un meeting de son parti du RDPC dimanche à Maroua, dans l’extrême nord du pays. On ne sait combien de meetings de campagne tiendra le RDPC, et si M. Biya y participera.
L’opposition de son côté, multiplie en vain les discussions pour désigner un candidat consensuel. « Beaucoup de Camerounais sont frustrés que l’opposition, qui tente depuis près de 30 ans de remplacer le président Biya, ne soit toujours pas en mesure à ce stade de se mettre d’accord », estime Arrey Elvis Ntui, analyste senior pour International Crisis Group.
Paul Biya a annoncé sa candidature le 13 juillet sur X. Depuis, il ne s’est pas directement adressé à ses compatriotes. Ce silence intrigue. D’ailleurs, selon Arrey Elvis Ntui, des rumeurs circulaient : le président n’aurait pas été très motivé pour se représenter. Son entourage l’aurait poussé à franchir le pas. Ainsi, la décision semble moins personnelle que stratégique. Et ce flou alimente les interrogations sur la suite du processus électoral.
Cette absence s’explique aussi par son âge et son état de santé, selon Davis Kiwuwa, responsable de l’École des études internationales à la branche chinoise de l’université de Nottingham : « Les leçons tirées de la prestation désastreuse de Biden n’ont pas pu lui échapper, ni à ses conseillers. Plus il reste à l’écart, plus il entretient l’illusion qu’il est mentalement et physiquement à la hauteur de la fonction. »
– « Des élections déja pliées » –
Vendredi, sous une pluie battante, une centaine de Camerounais d’Europe ont manifesté devant le siège de l’ONU à Genève. Ils protestaient contre le nouveau séjour en Suisse du président Paul Biya. Pancartes levées, slogans scandés, visages déterminés. Malgré les intempéries, la mobilisation ne faiblit pas.
La diaspora transforme le pavé genevois en tribune politique. Et rappelle que l’exil présidentiel reste un symbole contesté. Ainsi, loin de Yaoundé, la colère s’organise. Et la pluie devient le décor d’un refus tenace. Objectif : contester le nouveau séjour en Suisse du président Paul Biya. Le cortège, déterminé malgré les intempéries, brandissait des pancartes et scandait des slogans.
Ce rassemblement exprime une colère persistante. Et rappelle que l’exil présidentiel reste un symbole décrié. Ainsi, la diaspora transforme les trottoirs genevois en tribune politique. Et fait entendre sa voix, loin de Yaoundé.
Laurent, qui vit à Francfort en Allemagne, a choisi de faire le trajet pour participer à cette manifestation : « Aux dernières nouvelles, le président Paul Biya était à Genève. Nous ne savons pas s’il est déjà retourné au Cameroun, et cela nous intrigue. Cela nous fait aussi très mal, surtout en pleine campagne présidentielle. »
Laurent est venu dénoncer le rejet de la candidature de Maurice Kamto. Il regarde le processus électoral avec résignation. Selon lui, les jeux sont faits. D’ailleurs, il s’indigne. Il dénonce une élection verrouillée. Selon lui, tout semble joué d’avance. « On a l’impression que les élections sont déjà pliées et que le candidat Paul Biya sera automatiquement réélu. »
Ce sentiment d’impuissance traverse les rangs de l’opposition. Et nourrit une colère sourde. Ainsi, la mobilisation devient autant politique que symbolique. Elle exprime le refus d’un scénario écrit sans eux. Ainsi, la défiance s’installe. Et la mobilisation s’accompagne d’un sentiment d’impuissance. Pour beaucoup, l’issue semble écrite d’avance.
Source : Agence France-Presse