À Kinshasa, dans le quartier chic de la Gombe, le restaurant « 100% Liboke, Chez Mère Antho Aembe » ne désemplit pas. À l’heure du déjeuner, les clients affluent pour savourer le célèbre plat congolais. Depuis l’entrée du liboke dans le Larousse, la curiosité grandit. Ce plat traditionnel attire autant les gourmands que les défenseurs du patrimoine culturel.
Comme dans des centaines d’établissements de la capitale, ils viennent pour un plat: le liboke, une recette de poisson, fraîchement pêché dans le fleuve Congo voisin, épicé et emballé dans des feuilles de bananier. Ce plat national est tellement célèbre qu’il s’apprête à faire son entrée dans le Petit Larousse illustré en 2026.
Selon le dictionnaire français, le liboke « est une préparation à base de poisson ou de viande, enveloppée dans des feuilles de bananier et cuite au charbon de bois ».
Mais cette définition est considérée comme réductrice par certains Congolais, qui estiment qu’elle déshonore le sens profond d’un mot étroitement lié à l’identité nationale.
En lingala, « liboke » signifie avant tout « un petit groupe », explique à l’AFP Moïse Edimo Lumbidi, animateur culturel et professeur de lingala. Se référer uniquement au sens gastronomique de ce mot est « très réducteur », juge le trentenaire.
Ainsi, explique-t-il, « on peut parler de +liboke ya bato+ », ce qui veut dire un petit groupe de personnes, « ou encore de +liboke ya mbisi+ », pour évoquer des poissons regroupés ou emballés dans un paquet.
– Unité, communion –
Mobutu Sese Seko a dirigé le Zaïre pendant 32 ans, de 1965 à 1997. À cette époque, le mot « liboke » portait un message politique. Il figurait dans un slogan pour l’unité nationale : « Tolingi Zaïre liboke moko, lisanga moko ». En français : « Nous voulons un Zaïre uni et indivisible ». Ce mot symbolisait alors la cohésion du pays.
« Je ne suis pas fier (de voir limité) ce mot très précieux, si essentiel à notre culture, à notre être, à notre transcendance », à une simple allusion à la « nourriture », s’agace l’écrivain congolais Pépin-Guillaume Manjolo auprès de l’AFP.
« Le liboke moko, c’est avant tout cette communion, cette unité nationale (…) Et le limiter à l’aspect culinaire est très bien pour les Français. Mais pas pour nous », ajoute-t-il.
Pour lui, la démarche devrait être menée en accord avec les académies respectives du Congo-Kinshasa et du Congo-Brazzaville, région d’origine du mot, en Afrique centrale.
M. Manjolo appelle à plus de rigueur. Il souhaite que les institutions définissent l’origine du mot « liboke ». Selon lui, elles doivent en préciser les racines, l’étymologie, la philosophie et la philologie. C’est essentiel pour bien expliquer ce terme. M. Manjolo a été ministre de la Coopération internationale et de la Francophonie en RDC entre 2019 et 2021.
Selon lui, décrire uniquement sous l’angle gastronomique un mot qui renvoie davantage à « l’unité ou à la communion » est « très limité » et « ne reflète pas la vérité ».
– Le liboke entre au Larousse : entre fierté populaire et débat culturel –
Le débat ne fait pas encore rage sur les terrasses de Kinshasa, où l’on se presse pour déguster le fameux plat à la pause déjeuner.
Mère Antho n’était pas au courant. Elle n’avait pas entendu parler de l’annonce du Larousse. Ce dictionnaire français fait autorité sur la langue. Pourtant, la restauratrice de 41 ans l’a appris par les clients. Elle espère que cette reconnaissance attirera plus de monde. La restauratrice de 41 ans espère seulement que cette inscription lui amènera davantage de clients.
Attablé dans une terrasse du centre-ville, Patrick Bewa, fonctionnaire, considère pour sa part que l’inclusion du liboke dans le dictionnaire français est une « source de fierté ».
« Nous l’adorons, c’est vraiment un plat typiquement africain et congolais », lance-t-il, assis à table avec deux collègues.
Le poisson « vient tout juste du fleuve, il est bon, avec sa saveur fumée qui a pris l’arôme de la feuille, c’est un goût inimitable. Il faut le goûter pour le savoir », dit-il.
L’enthousiasme populaire ne fait pas l’unanimité. Des intellectuels congolais expriment leur désaccord. Ils critiquent l’Académie française. Selon eux, la décision d’inclure le mot « liboke » est unilatérale. Elle n’a pas été concertée avec la partie congolaise.
L’entrée du mot « liboke » dans le dictionnaire est une bonne chose. Mais Edimo Lumbidi reste prudent. Il souhaite que Larousse approfondisse ses recherches. Il demande la vraie étymologie du mot. Ce serait, selon lui, une marque de respect envers la culture congolaise.
Contactée par l’AFP, la maison Larousse n’a pas réagi dans l’immédiat.
Source : Agence France-Presse