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A l’ombre de la présidentielle au Cameroun, le juteux business de la fuite des cerveaux

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Trans Afrique

Fuite des cerveaux au Cameroun : pendant que le pays vote, les diplômés s’en vont. « Voyagez quand et comme vous voulez » promettent les agences. Visa d’étude, visa de travail, résidence permanente : tout semble accessible. L’exil devient projet. Le marché migratoire explose. Et les talents s’éloignent.

À Douala, le décor ne trompe pas. Une dizaine de bannières rouges et blanches bordent l’avenue de Bonamoussadi. Feuilles d’érable en évidence. Elles annoncent « Objectif Canada ». Une agence fraîchement ouverte. Mission : accompagner les candidats à l’immigration canadienne. Le message est clair. Le départ s’organise.

À la réception, Michael, 38 ans, est venu se renseigner pour sa compagne. « Elle est titulaire d’une licence en sécurité informatique mais n’a pas trouvé de travail dans son domaine », explique-t-il.

– Les jeunes Camerounais tournent le dos à leur pays –

Le Cameroun est une puissance régionale. Mais il reste figé. Paul Biya le dirige depuis 43 ans. À 92 ans, il est le plus vieux chef d’État au monde. Et il brigue un nouveau mandat. Le pays vote. Mais une partie de la jeunesse regarde ailleurs.Mais son développement reste entravé par ses problèmes de gouvernance. L’an dernier, 40% des 30 millions de Camerounais vivaient sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale.

Le désir de partir devient massif. Selon Afrobarometer, 51 % des jeunes Camerounais ont pensé à émigrer. Plus d’un sur deux. Le chiffre parle. Le malaise est profond. Et l’ailleurs devient projet.

Pourquoi partir ? Pour fuir le chômage, la précarité, la pauvreté. Ce sont les raisons principales, souligne-t-il. Et la destination rêvée reste la même : l’Amérique du Nord. Un ailleurs perçu comme possible. Et surtout, préférable.

Pour Stéphane Akoa, c’est une perte nette. À tous les niveaux. Des profils qualifiés s’en vont. L’État a investi dans leur formation. Mais le retour sur investissement ? Zéro. Leur savoir-faire profite à d’autres pays.

Le Cameroun domine les départs vers le Canada. L’an dernier, il a fourni le plus de nouveaux résidents permanents. Au Québec francophone : 9 127 personnes. Une hausse de 42 % par rapport à 2023. Dans le reste du pays anglophone : 10 395 arrivées. Les chiffres explosent. Le départ devient collectif.

– « Millions de francs » –

« L’immigration canadienne a le vent en poupe », confirme Stéphane Bofia, fondateur d’Objectif Canada.

À 34 ans, cet informaticien a flairé le filon. Il propose un site de préparation aux tests de langue. Objectif : répondre aux exigences des services d’immigration. Tarif : 45 000 FCFA pour trois mois. Un business discret, mais rentable.

Son accompagnement ne vient pas gratuitement. Il facture en millions de francs CFA. Minimum: 1 500 euros. Un service personnalisé, mais coûteux. Chaque départ a son prix.

« On ne fait pas la promotion de l’immigration », mais « la demande existe » et « le client adhère facilement », souligne M. Bofia.

À 27 ans, Martial s’est offert les services d’une autre agence de Douala. Après avoir déboursé près de 3 000 000 de francs CFA (4 500 euros), l’ingénieur en agronomie espère rejoindre le Canada d’ici huit mois.

« Ici, les opportunités sont limitées à un petit nombre de personnes », justifie-t-il. Il a choisi ce pays après avoir été encouragé par des camarades d’études déjà sur place, et parce que l’immigration y est « plus ouverte et plus facile ».

Et l’élection présidentielle de dimanche n’y changera rien. « Il peut y avoir du changement, mais je préfère d’abord partir », dit-il en riant.

– Dubaï, Lettonie, Bélarus… –

Cécile a 25 ans. Elle étudie le droit. Mais elle veut partir. Devenir avocate au Cameroun ? Trop long. Trop opaque. « Il faut des relations », lâche-t-elle. Elle préfère tenter sa chance ailleurs.

Elle promet de revenir. Mais d’abord, elle part. Direction le Canada. Elle veut y exercer comme avocate quelques années. Le temps de lancer ses projets. Pour préparer son départ, elle a payé 210 000 FCFA à une agence. Objectif : réussir les tests de langue.

L’émigration ? Un terrain miné. Ghislain Ngongang le reconnaît : « vertigineux et truffé d’arnaques ». Consultant, il accompagne ses clients vers la France et le Canada. Mais il prévient : le parcours est risqué. Chaque étape peut cacher une embuscade.

À Douala, il y aurait plus de 200 agences. Mais très peu sont fiables. Lui en a testé plusieurs. Depuis fin 2023, il affirme avoir fait partir 40 personnes. Il prévient : « Méfiez-vous. »

Sur les réseaux, les agences multiplient les offres. Elles ciblent l’urgence. Visa étudiant en Biélorussie : trois semaines, 2 750 000 FCFA. Postes de carreleurs à Dubaï : premiers venus, premiers servis. Contrat de travail en Lettonie : trois mois d’attente. Chaque destination promet un départ rapide. Peu importe où. L’essentiel, c’est partir.

Théophile, 24 ans, plasticien, refuse de voter dimanche. Il n’espère plus rien du pays. Il rêve d’ailleurs. Dès qu’une occasion se présente, il part. « Peu importe où », lâche-t-il. « Je m’en vais. »

« Certaines personnes ici ont l’impression de survivre, les Camerounais veulent plus que ça », explique Ghislain Ngongang.

Source: Agence France-Presse

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