Dans un restaurant du sud-ouest du Gabon, Matthieu Msellati savoure une entrecôte locale, issue d’un élevage situé à quelques kilomètres seulement. Ce produit reste rare, mais il symbolise une ambition nationale : l’autosuffisance alimentaire. Dans ce pays pétrolier, qui dépend encore largement des importations, la production locale tente de s’imposer.
Le ranch, on sait d’où ça vient, et c’est rassurant », s’enthousiasme Matthieu Msellati, 48 ans, gestionnaire d’un site touristique. Comme beaucoup d’établissements au Gabon, celui de Tchibanga cherche à s’approvisionner localement. Cette démarche renforce la confiance des clients et soutient les producteurs nationaux.
Sur les réseaux sociaux gabonais, le hashtag #Consogab gagne en popularité. Depuis quelques mois, il incite les citoyens à consommer et à promouvoir les produits locaux. Lancé par des influenceurs, ce mouvement citoyen valorise le savoir-faire national et soutient les entrepreneurs gabonais. Peintres, restaurateurs, pêcheurs, commerçants : tous partagent leurs activités pour encourager une consommation responsable et patriotique.
– Le ranch de Nyanga, pionnier de l’élevage bovin à grande échelle au Gabon –
Le gouvernement veut renforcer l’autosuffisance alimentaire. Sous l’impulsion du président Brice Oligui Nguema, arrivé au pouvoir en 2023 et élu en avril 2025, il a lancé plusieurs mesures. Parmi elles, des prêts à faible taux d’intérêt pour les petites entreprises agricoles.
Grâce à la Banque pour le commerce et l’entrepreneuriat du Gabon (BCEG), les PME peuvent désormais accéder à des crédits avec des taux allant de 3 à 14 %, bien en dessous des taux habituels. Ce soutien financier vise à structurer les entreprises locales et à stimuler la production nationale.
Un Gabonais consomme environ 40,8 kilos de viande par an selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Mais moins de 10 % sont produites dans le pays, selon la même source. Le Gabon importe le reste du Tchad et du Cameroun voisins, surtout, du Brésil et de France aussi.
Seul éleveur bovin à grande échelle de ce pays d’Afrique centrale, la Grande Mayumba Agrobusiness Company (GMAC) possède le ranch de Nyanga, d’où provient l’entrecôte de M. Msellati.
« Nous sommes un peuple de forêt. Nos ancêtres vivaient de chasse et de cueillette, pas d’élevage », souligne Morgan Bignoumba, le directeur adjoint de l’élevage au ministère de l’Agriculture.
Le Gabon est couvert à 88 % de forêts, et à seulement 7 % de savanes, ces grands espaces plats et herbeux nécessaires au bon pâturage du bétail.
– Autosuffisance alimentaire –
Situé à la frontière du Congo, le ranch de la Nyanga s’étale sur plus de 100 000 hectares. Ses 5 000 têtes de bétail y évoluent dans un pâturage naturel de vastes plaines, nourries au fourrage naturel et abrevées du fleuve Nyanga qui traverse les lieux.
« C’est de la viande produite localement, dans des conditions bio », affirme fièrement Gui-Lov Dibanganga, 38 ans. Il dirige le ranch et supervise 108 employés. À travers cette initiative, il veut aider le pays à atteindre son objectif : l’autosuffisance alimentaire.
Cette année, le ranch prévoit de produire 30 tonnes de viande. C’est un volume encore modeste. Cela s’explique par la race exploitée : la Ndama. Robuste mais peu productive, elle reste adaptée aux conditions locales.
Cette race vient d’Afrique de l’Ouest et centrale. Sa robe orangée se fond dans les pistes de latérite typiques de la région. Elle est surtout appréciée pour sa résistance à la trypanosomiase. Cette maladie, transmise par la mouche tsé-tsé, est l’équivalent de la maladie du sommeil chez l’homme.
Compacte et de petit gabarit, « son rendement n’est pas très important », note M. Dibanganga : chaque bête produit 140 kilos de viande au maximum, contre plus de 200 pour les zébus d’élevage.
Le cheptel du ranch augmente d’environ 10 % chaque année. Autrefois, sa viande était réservée aux restaurants des environs. Aujourd’hui, elle séduit aussi les clients de Libreville. Ainsi, la production locale gagne du terrain.
– « Où est la viande qui est tendre ? »-
Toutes les deux semaines, Youssouf Ori reçoit aux aurores environ 300 kilos de carcasses par camion frigorifique pour sa boucherie des Charbonnages, un quartier commerçant de Libreville. « Viande fraîche », proclame sa devanture en lettres bleues capitales sur fond blanc.
L’abattage se fait directement au ranch. Ensuite, la viande est livrée en moins de 72 heures. Pendant ce temps, près de 12 heures sont consacrées au transport sur 700 kilomètres de pistes et de routes accidentées. Malgré les défis, le circuit reste rapide et efficace.
Veste blanche sur le dos, couteau en main, Youssouf Ori se met aussitôt au travail. Il découpe les pièces destinées, en grande partie, à ses clients restaurateurs. Ainsi, il répond à une demande locale en pleine croissance.
D’après lui, la viande de Nyanga est très attendue. Si elle manque pendant une ou deux semaines, les clients réagissent vite. Ils demandent : « Où est la viande la plus tendre ? »
– La viande 100 % gabonaise séduit les restaurateurs de Libreville –
L’argument de la provenance locale résonne chez ses clients restaurateurs de la capitale. « Ils sont contents quand ils entendent » que leur produit « vient de Tchibanga », souligne-t-il.
Dans les allées d’un des plus grands supermarchés de Libreville, un grand panneau placé devant le rayon boucherie signale cette « viande 100 % gabonaise ». Disponible en rayons depuis huit mois, elle a déjà trouvé son public.
Avec la viande locale, « la saveur est maintenue » et « les clients adorent », souligne Blandine Loogabeng, une restauratrice.
Norvin Kouma, 36 ans, est responsable des achats de produits frais à l’hypermarché Mbolo. Il a choisi de collaborer avec le ranch pour deux raisons : la qualité de la viande et des prix attractifs.
En effet, le kilo d’entrecôte coûte 18 000 francs CFA (environ 27 euros), que ce soit pour la viande gabonaise ou camerounaise. De plus, les autorités encouragent la promotion des entrepreneurs locaux. Et aussi parce que les autorités incitent à « promouvoir les entrepreneurs gabonais ».
Pour nourrir toute la population avec de la viande locale, il faut plus d’initiatives. Selon Gui-Lov Dibanganga, cinq ou six entreprises avec la même vision pourraient suffire. Ainsi, le rêve d’une autosuffisance alimentaire deviendrait réalité. « Ce serait pas mal. »
Source : Agence France-Presse