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À l’ombre des milices et des jihadistes : le nord-est ivoirien entre vigilance et résilience

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Trans Afrique

Après Dieu, c’est l’armée. Elle veille, elle protège. Grâce à elle, je dors. Je me lève en paix. Car ici, dans le nord-est ivoirien, on vit à l’ombre des milices et des jihadistes. Ils venaient du Burkina, franchissaient la frontière. L’armée ivoirienne a réagi. Elle a verrouillé la zone, quadrillé les pistes, renforcé les postes. Depuis, les incursions ont cessé. La population respire. Mais le calme est fragile. Et la vigilance, constante.

La frontière nord-est n’est pas une ligne. C’est une faille. Elle laisse passer les rumeurs, les peurs et parfois les armes. Dans cette brèche, un nouveau visage de la guerre s’installe : des civils armés, supplétifs de la junte burkinabé.

Ni soldats ni miliciens. Mais leur présence trouble. Muets, attentifs, dérangeants. L’AFP les a vus, au fil d’une mission éprouvante. Le terrain murmure : tension, silence, regards qui glissent.

Les chancelleries occidentales ne s’y trompent pas. Elles ont classé la zone « rouge ». Un avertissement. Une alerte. Car ici, la paix est un équilibre instable. Et chaque nouvel acteur armé est une étincelle de trop.

L’armée est là. On respire. Si elle part, je pars. Adama Ouattara, chef des jeunes à Moro Moro, ne tergiverse pas. À 520 km d’Abidjan, la sécurité tient à un fil. Ce fil, c’est l’armée.

Polo sale. Sourire éclatant. Ce paysan, massif comme un catcheur, admire les soldats. Ils sont venus en patrouille. Ils ont atteint son village, isolé, tout près de la frontière.

Les jihadistes ont frappé. Deux fois. À Kafolo, en juin 2020 et mars 2021. Seize soldats tués. Depuis, plus rien. Le nord-est ivoirien tient. Mais reste vulnérable.

La vie a repris. Le calme est revenu. Mais les soldats sont partout. L’État aussi. Le nord-est ivoirien tient bon. Ailleurs, c’est l’inverse. Au Bénin, au Togo, la violence progresse.

– « Veille permanente » –

Le camp a été rasé. À sa place, un marché pousse. Des briques grises, des herbes folles. À Kafolo, la vie continue. Les villageois vont aux champs. Comme si rien ne s’était passé.

Un minaret beige surplombe le hameau. Des pistes de terre rouge le traversent. Des biquettes errent, mâchonnent du plastique. La scène est calme. Et crue.

Le fleuve Comoé trace la frontière. Le village est calme. Mais les gilets fluo envahissent les lieux. Ce sont les ouvriers du BTP. Ils bitument deux routes stratégiques. Le chantier avance. La présence est massive.

La vigilance reste. Le danger rôde. « Ici, on arrête tôt. Jamais de travail après-midi. Jamais de sorties la nuit », dit un ouvrier. La peur dicte les horaires.

– Quand la peur traverse le fleuve –

Les jihadistes sont là. À Alidougou. Juste de l’autre côté du fleuve. À trois kilomètres. Un ancien du coin prévient : attention, ils campent tout près.

Avant, on traversait. On allait au Burkina. On ramenait du maïs, du blé, des céréales. Aujourd’hui, on reste ici. On évite la frontière. On abandonne les champs là-bas. C’est plus sûr. Abdelrahman Ouattara, chef des jeunes à Tougbo, l’affirme.

Les jihadistes ont tenté. Ils parlaient dans les mosquées. Ils voulaient recruter. Mais ça fait longtemps qu’on ne les voit plus. Le témoin a 42 ans. Le capitaine du commando écoute, silencieux.

Les soldats interrogent. Ils écoutent. Ils traquent le moindre détail. Un geste étrange. Un visage inconnu. Un mot de trop. Chaque villageois devient une source. La vigilance est constante.

Ils étaient 200, peut-être 300. Des Peuls, installés là avant les attaques. Aujourd’hui, ils sont partis. Avec leurs troupeaux. Tiémogo Bamba, chef du village de Kafolo, le dit d’un ton sec. Ils ont quitté les lieux. Sans retour.

Ils sont partis. Mais pour où ? Personne ne sait. Ici, les Peuls nomades bougent sans cesse. Mais les soupçons les suivent. Les autres communautés — Malinké, Lobi, Koulango, Mossi — les accusent. Collusion avec les jihadistes, disent-ils. La méfiance est partout.

– « Jusqu’au cou! » –

Savane pauvre. Longtemps oubliée. Aujourd’hui, deux menaces : terrorisme et orpaillage illégal. Le ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara, l’a dit en août. Il est aussi le frère du président Alassane Ouattara, au pouvoir depuis 2011. Réélu fin octobre pour un quatrième mandat.

La situation est tendue. Mais elle reste sous contrôle. Le ministre l’assure : l’armée veille. Le dispositif est renforcé. Pas d’infiltration. Pas d’attaque majeure. La frontière tient.

Le parc de la Comoé est tout proche. Autrefois, il grouillait de vie : éléphants, lions, antilopes. Aujourd’hui, on espère le retour des touristes. Mais les ambassades occidentales restent prudentes. Le danger n’est pas loin.

Le député y croit. « Il y a de bonnes perspectives », dit-il. Le dispositif sécuritaire est là. Visible. Discret mais dissuasif. Les efforts ont payé. « Ça marche », affirme Abdoulaye Karim Diomandé.

– La guerre silencieuse des frontières –

La savane s’étend, vaste et envoûtante, comme un décor figé dans le temps. L’AFP l’a parcourue, piste après piste, à la recherche d’indices. Mais les sources locales sont unanimes : aucun jihadiste n’a été vu, aucun n’a été arrêté.

Le parc national de la Comoé semble épargné, pour l’instant. Un calme presque trop parfait, comme une respiration suspendue. Et dans ce silence, l’espoir d’un retour à la paix se mêle à la prudence des regards.

« Les terroristes ne peuvent plus attaquer. » Le ton est ferme. Le responsable militaire est sûr de lui. Le territoire est verrouillé. Des camps, des postes, des positions. Un maillage dense, disséminé en brousse. La frontière est sous contrôle.

Les jihadistes sont là. Implantés côté burkinabé. Des villages entiers sont occupés. La menace reste réelle. « La junte fait semblant », dit une source. « Mais ça ne va pas. Les gens meurent. »

La situation est rétablie. Mais rien n’est garanti. « Elle peut dégénérer à tout moment », prévient un officier. Le calme est là. Mais il est fragile.

– Commerce en berne –

Car un autre danger se profile dans cette région ivoirienne du Bounkani, venu là aussi du Burkina: les VDP, acronyme pour « Volontaires pour la défense de la patrie », ces supplétifs civils de l’armée burkinabè déployés pour lutter contre les jihadistes.

Leur présence s’avère particulièrement problématique sur cette frontière poreuse, dans sa partie terrestre mal délimitée, lieux de nombreux commerces et trafics, chemin de la transhumance bovine, et où les populations vivent depuis toujours imbriquées.

Ceci alors que la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso entretiennent des relations exécrables depuis l’arrivée au pouvoir il y a près de trois ans du capitaine putschiste et anti-impérialiste Ibrahim Traoré, à Ouagadougou. Le Burkina accuse régulièrement son voisin de déstabilisation, ce qu’Abidjan nie.

Fin août, six fonctionnaires ivoiriens en charge des réfugiés, en mission dans un petit village frontalier, ont été kidnappés et emmenés au Burkina par des VDP, selon des sources locales. Quatre villageois ont par ailleurs été tués lors d’une incursion par des « individus armés non identifiés », selon l’armée.

Sur le principal poste-frontière de la région, à Doropo, l’entente reste en apparence cordiale, a constaté l’AFP. La frontière est ouverte. « On se salue avec les collègues voisins chaque matin », commente l’adjudant Houyaou. Sous un soleil de plomb, piétons et vélos franchissent tranquillement la barrière. Deux gamins main dans la main venus du Burkina vont « chez le coiffeur » ivoirien installé sous une cahute au toit de tôle.

« Là-bas, la police complique. Moi je ne traverse plus. On fait très attention. Le commerce transfrontalier a baissé de près de 50 %, explique Traoré Lacina, président des commerçants de Doropo.

Les prix sur les marchés reflètent ce ralentissement des flux transfrontaliers: celui des vaches venues du Burkina, dont le nombre est passé de 400 têtes/jour à seulement une centaine, a grimpé de près de 40%.

– « Les mêmes peuples » –

« Nous sommes les mêmes peuples. (…) Mais les gens ont peur désormais, c’est mieux que chacun reste chez lui », déplore Sigué Ouattara, notable de la chefferie de l’ethnie Koulango.

« Le problème désormais, ce sont les VDP, on ne peut pas parlementer avec eux », abonde le président des commerçants.

Les Peuls ont fui. Des milliers. Ciblés par les VDP. Diko Abderhaman, leur représentant, le confirme. Ils ont quitté le Burkina. La peur les a chassés.

La Côte d’Ivoire accueille près de 70 000 Burkinabés ayant fui leur pays, dont 35 000 dans la seule région du Bounkani, selon le HCR. L’État ivoirien a construit et financé deux camps d’accueil, les autres vivent dans les communautés.

Ils arrivent en grand nombre. Le HCR alerte : les ressources locales sont sous pression. Les tensions communautaires s’aggravent. Rien n’est simple. Rien n’est neutre.

Ils sont arrivés. Des demandeurs d’asile, dit-on. Mais la peur a suivi. « Il y avait des terroristes parmi eux », affirme Angeline Som. Commerçante, présidente d’une ONG. À Doropo, beaucoup pensent comme elle.

– Ivoiriens parmi les VDP –

« Le problème jihadiste est sous contrôle à Bouna (la capitale provinciale) », résume un journaliste local. « Le danger maintenant, ce sont les VDP, la guéguerre avec le Burkina, et, vue d’ici, les provocations du pays voisin ».

« Des agents de la junte burkinabé à Bouna distillent des rumeurs et de fausses nouvelles », affirme cet observateur. Tandis que « des jeunes qui vivent ici, des Burkinabè mais aussi des Ivoiriens, se sont enrôlés de l’autre côté chez les VDP ».

« Des Burkinabè qui vivaient dans cette partie nord de la Côte d’Ivoire depuis des années sont allés se faire enrôler chez les VDP. Ils reviennent parfois dormir chez nous ou se reposer dans leurs familles. Et ils font des problèmes. Et il y a aussi des Ivoiriens », confirme, inquiet, une très bonne source sécuritaire.

La frontière est poreuse. Sa délimitation est suspendue. Le ministre de la Défense le reconnaît. Des tensions existent avec les forces burkinabè. Mais elles sont gérées. Par la diplomatie. Rapidement.

« Nous avons pour consigne de ne pas répondre aux provocations », lâche la source sécuritaire.

Mais les habitants s’alarment. « Partout le long de cette frontière vous pouvez croiser les VDP », souligne l’inspecteur vétérinaire Vincent Baret, en poste à Doropo.

« Moi, comme fonctionnaire, je ne peux pas m’éloigner en brousse. Nos militaires ont affaire tous les jours avec les VDP. Ce sont juste des miliciens analphabètes, mais ils nous occupent l’esprit. Et nous inquiètent plus que les jihadistes désormais ».

Source: Agence France-Presse

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