Les maisons-ballons à Dakar, conçues dans les années 1950 par l’architecte américain Wallace Neff, incarnent une vision audacieuse de l’habitat urbain. Marième Ndiaye en habite une au cœur de la capitale sénégalaise, où son igloo rétrofuturiste contraste avec les immeubles rectangulaires en construction. Ce modèle architectural, lancé par les autorités coloniales françaises, suscite aujourd’hui autant de fascination que de débats sur son adaptation aux réalités sociales locales.
La petite « maison-bulle » – ou « maison-ballon » – en béton captive les regards et semble sortie d’un film de science-fiction.
Dans les années 1950, quelque 1.200 de ces petites habitations ont été construites dans plusieurs quartiers de Dakar pour contrer une pénurie de logements après la Seconde Guerre mondiale. Elles ont été bâties en aspergeant de béton projeté un ballon géant, ensuite dégonflé.
Rangée après rangée, ces dômes de couleur claire qui pouvaient être construits en 48 heures, ont rapidement émergé du sol sahélien brunâtre.
Les maisons-bulles ont été conçues par un architecte américain. Les autorités coloniales françaises les ont ensuite lancées à Dakar. Elles visaient à loger les populations sénégalaises. L’accueil a été mitigé. Les familles, souvent nombreuses et multigénérationnelles, s’y sont vite senties à l’étroit. Le modèle ne correspondait pas aux habitudes de vie locales.
Mais les terrains sur lesquels elles ont été construites ont rapidement pris de la valeur, suscitant une grande convoitise. Aujourd’hui, seule une centaine de ces habitations a survécu, les autres ayant succombé à l’urbanisation galopante de Dakar.
– « C’est sentimental » –
Sans sociétés historiques ou architecturales pour les préserver, les petits igloos n’ont pour principaux protecteurs que leurs derniers habitants.
« Quand j’étais petite, nous n’avions que les (maisons-)ballons » dans ce quartier Zone B, raconte Marième Ndiaye, qui y a grandi et y vit toujours.
« Nous sommes en train de détruire les ballons, de les transformer », déplore cette retraitée de 65 ans, dont la maison-bulle est restée intacte, alors que ses jeunes frères voulaient la raser et construire autre chose. « Pour moi, c’est sentimental », confie-t-elle.
Les raisons poussant leurs habitants à préserver les maisons-bulles sont variées, explique l’architecte dakaroise Carole Diop à l’AFP. Mais « malheureusement, de nombreuses familles qui en avaient les moyens ont fini par démolir leur ballon pour construire un immeuble ».
Beaucoup des maisons-ballons survivantes ont été modifiées afin de mieux correspondre aux besoins des foyers sénégalais.
Avec un diamètre moyen de seulement six mètres, une maison-bulle standard comme celle de Mme Ndiaye comprenait une chambre, un salon et une salle de bain, selon Carole Diop.
En les construisant, les autorités coloniales françaises n’ont pas tenu compte de la taille d’une famille sénégalaise traditionnelle, souligne l’architecte, et « de nombreuses familles se sont adaptées et ont trouvé des moyens de répondre à leur besoin d’espace », notamment en bâtissant des extensions.
La maison-bulle de Marième Ndiaye, acquise par son père dans les années 1950, occupe désormais une place centrale dans un vaste complexe familial. Elle vit sur place avec une demi-douzaine de proches, réunissant plusieurs générations sous le même toit. La maison-bulle trône au cœur d’une cour carrée, entourée de pièces aménagées le long des murs d’enceinte. Ce cadre illustre une adaptation harmonieuse entre architecture expérimentale et vie communautaire. Le lieu témoigne d’une mémoire familiale vivante, ancrée dans une structure unique.
– « Quelque chose d’extraordinaire » –
Les maisons-ballons chauffent sous le soleil direct. Un évent sur le toit aide à évacuer l’air chaud. Malgré cela, Mme Ndiaye affirme que sa maison reste confortable. Elle apprécie son habitat, même en période de forte chaleur. L’isolation et la ventilation semblent efficaces dans son cas.
À 10 minutes de marche de là, Sekouna Yansane a récemment construit une grande maison à côté de la maison-bulle achetée par son père dans les années 1950. Il a incorporé le dôme au vaste bâtiment, en faisant une pièce qui forme une protubérance sur un côté.
En tant qu’artiste, il répugnait à laisser la petite construction aux mains des promoteurs immobiliers.
L’homme a 65 ans. Il s’exclame : « Je trouve ça très atypique, je l’adore. » Cela lui rappelle son voyage en Mongolie. Il pense aux yourtes qu’il a vues là-bas. Le souvenir est encore vif.
Ses voisins immédiats, par contre, ont rasé leur ballon. « Pourquoi les détruire ? Ce sont des choses que nous devrions garder », estime M. Yansane, pour qui une bonne maison a toujours « du caractère ».
– Entre utopie sociale et densité moderne –
Wallace Neff a marqué l’architecture américaine avec ses villas de style colonial espagnol, prisées par des célébrités comme Judy Garland et Groucho Marx. Cependant, il considérait les maisons-bulles comme son œuvre la plus importante. Inspiré par la forme d’une bulle de savon, il a développé la technique Airform, consistant à projeter du béton sur un ballon gonflé pour créer des habitations sphériques. Conçues pour répondre à la pénurie de logements après la Seconde Guerre mondiale, ces maisons étaient économiques, rapides à construire (en 48 heures), et résistantes. Neff voyait dans ce concept une solution sociale, bien au-delà du luxe hollywoodien.
La ville se densifie rapidement. Elle évolue sans relâche. Carole Diop craint la disparition des ballons. Selon elle, dans 100 ans, il n’y en aura plus. L’urbanisation menace les symboles de légèreté.
Sekouna Yansane, lui, espère qu’elles survivront: auquel cas, « ce sera quelque chose d’extraordinaire ».
Source : Agence France-Presse