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Tchad: une partie de l’opposition se retire de la vie politique dénonçant des atteintes à la démocratie

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Trans Afrique

L’opposition radicale tchadienne a décidé de claquer la porte. En effet, mercredi dernier, une plateforme regroupant les partis les plus hostiles au régime de Mahamat Idriss Déby Itno a annoncé son retrait de la vie politique. Ce retrait, loin d’être anecdotique, constitue une réponse directe aux nouvelles dispositions constitutionnelles récemment adoptées.

Ainsi, cette décision marque une rupture nette avec le processus institutionnel en cours. Elle dénonce un verrouillage systémique du pouvoir et expose, par conséquent, une fracture irréversible entre les sphères dirigeantes et les forces contestataires.

Quelques jours plus tôt, début octobre, le Parlement tchadien avait validé une révision constitutionnelle majeure. Celle-ci instaure un mandat présidentiel de sept ans, renouvelable sans aucune limite. Votée à une majorité écrasante, cette réforme intervient à peine deux ans après l’adoption par référendum de la Constitution actuelle.

Ce calendrier accéléré soulève des interrogations. En effet, cette révision ne se contente pas de modifier la durée du mandat : elle verrouille durablement le pouvoir en place, marginalise l’opposition et confirme l’emprise croissante du régime sur les institutions.

Dérive autoritaire et retrait stratégique

Dans ce contexte, l’opposition ne mâche pas ses mots. Elle qualifie la réforme d’autoritaire et y voit une tentative manifeste de pérennisation du pouvoir. En permettant à Mahamat Idriss Déby de rester à la tête de l’État sans limite temporelle, la nouvelle Constitution transforme le mandat présidentiel en permanence. Le régime se consolide, tandis que les espaces de contestation se réduisent.

Face à cette dérive, les partis membres du Groupe de concertation des acteurs politiques (GCAP) ont annoncé leur retrait politique d’ici le 31 octobre. En parallèle, ils ont décidé de suspendre toutes leurs activités nationales. Le motif est explicite : les droits reconnus à l’opposition ne sont ni respectés ni garantis.

Par conséquent, la participation politique devient impossible. Le message est clair : tant que les garanties institutionnelles ne seront pas rétablies, l’opposition refuse de jouer le rôle de figurant dans un système qu’elle juge verrouillé.

Lors d’une conférence de presse tenue mercredi, Max Kemkoye, porte-parole du GCAP, a dénoncé avec force les dérives du régime. Selon lui, la réforme constitutionnelle constitue une « atteinte à la démocratie » et transforme le Tchad en « une propriété politique au service d’un homme et de son système ».

Ce langage frontal traduit une exaspération profonde. L’accusation est directe : le régime est désigné comme confiscateur, et le processus politique comme instrumentalisé.

Fusion du pouvoir et du parti

La réforme constitutionnelle ne se limite pas à prolonger les mandats. Elle redéfinit également les frontières entre l’État et les partis politiques. En levant l’incompatibilité entre la fonction présidentielle et l’engagement partisan, elle permet à Mahamat Idriss Déby de cumuler les deux rôles.

Désigné président du Mouvement patriotique du salut (MPS) en janvier 2025, Déby incarne désormais une verticalité absolue. Le chef de l’État devient chef de parti. Le parti devient bras du pouvoir.

Ce n’est plus une gouvernance pluraliste : c’est une fusion autoritaire. Une centralisation qui efface les contre-pouvoirs, marginalise l’opposition et transforme l’État en appareil partisan.

Pour les opposants, cette réforme ne représente pas une simple évolution institutionnelle. Elle consacre une appropriation du politique, où la pluralité devient suspecte et la dissidence, une faute. Le régime ne se contente plus de gouverner : il absorbe les structures qui pourraient lui faire contrepoids.

Il convient de rappeler que Mahamat Idriss Déby a été proclamé président de transition par l’armée le 20 avril 2021, à la suite de la mort de son père, Idriss Déby Itno, tué au front après trente ans de règne.

Ce passage de témoin, dans un contexte militaire, a marqué l’installation d’une dynastie. En mai 2024, Mahamat Déby est élu chef de l’État. Toutefois, cette élection est largement contestée.

Une part significative de l’opposition boycotte le scrutin, dénonçant un processus biaisé. Ainsi, le pouvoir se consolide, tandis que la rupture démocratique s’accentue.

Climat de répression et silence imposé

Par ailleurs, la plateforme dénonce un « climat de terreur » entretenu par les services de renseignements tchadiens. Elle accuse ces derniers d’alimenter les « intimidations » et les « menaces », notamment à travers l’interdiction systématique des rassemblements et des manifestations.

L’espace politique se referme. La peur devient un outil de gouvernance. Dans ce contexte, la parole politique se raréfie, et la mobilisation devient risquée.

Pour la plateforme, continuer à exercer une activité politique dans un tel environnement revient à « accompagner un dictateur » et à « légitimer son règne infini ». Le ton est tranché. La participation devient compromission. Le retrait, quant à lui, s’impose comme une ligne de rupture. Il ne s’agit plus de débattre, mais de refuser de cautionner.

Cette alerte interne trouve un écho à l’international. Mi-octobre, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a dénoncé la révision constitutionnelle, la qualifiant de « grave recul pour l’état de droit et la démocratie ».

Toutefois, au-delà du texte, c’est le climat général qui inquiète. HRW décrit une répression devenue « monnaie courante », visant les opposants et la société civile. Ce n’est plus l’exception : c’est la norme. Dans ce cadre, la réforme ne constitue pas seulement une dérive interne.

Elle devient un signal extérieur. Celui d’un régime qui verrouille, qui marginalise et qui transforme la démocratie en façade. L’alerte d’HRW agit comme un miroir : elle reflète ce que le pouvoir tente de dissimuler.

Condamnation symbolique : le cas Succès Masra

Enfin, la justice tchadienne a récemment condamné Succès Masra, ancien Premier ministre et principal visage de l’opposition, à vingt ans de prison. Les accusations portent sur la diffusion de messages à caractère « haineux et xénophobe » et une « complicité de meurtre ».

Toutefois, au-delà des charges, c’est la procédure qui interroge. Le procès, jugé expéditif, s’est déroulé sans garanties. La justice semble avoir répondu à l’agenda du pouvoir.

Cette condamnation ne vise pas seulement un homme : elle cible une voix, une posture, une alternative. Elle transforme le droit en outil de neutralisation. Et elle envoie un signal clair : contester, c’est risquer l’effacement.

Dans ce contexte de verrouillage politique, le sort de Masra devient emblématique. Il incarne une opposition criminalisée, un pluralisme réprimé et un État qui confond justice et domination. Ainsi, le retrait de l’opposition, loin d’être une désertion, s’affirme comme un acte de résistance face à un régime qui ne tolère plus la contradiction.

Source: Agence France-Presse

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