Le livre est de loin le support culturel le plus répandu à l’échelle mondiale. Son existence a préservé et partagé les connaissances culturelles d’un pays à un autre à travers les civilisations. C’est dire que le livre a une place capitale dans l’éducation et reste un moyen de développement culturel d’une nation. Dans les pays développés comme l’Europe, l’industrie du livre prend alors une ampleur conséquente sur la qualité et la production. Du côté de l’Afrique, l’influence du livre sur les domaines pédagogiques et culturels est mineure.
Thierry Mouelle II
«Le livre est un bien qu’on peut vendre et donc qu’on peut acheter… »
Il est enseignant et chercheur spécialiste des questions de stratégie des organisations, des métiers de la banque et de la finance et des nouvelles technologies.
Il est aussi essayiste, romancier et poète.
L’industrie du livre en Afrique, avance à son propre rythme, contrairement à un pays comme la France où vous êtes établi depuis plusieurs années. C’est quoi le problème ?
Disons que l’industrie du livre appartient à une nomenclature assez vaste, parce que ce n’est pas simplement le livre en tant que support de connaissances, mais le livre en tant qu’aboutissement d’une politique culturelle.
Donc, pour réfléchir véritablement sur la question du livre en Afrique, il faudrait déjà voir ce que les autorités politiques mettent en place comme stratégie pour promouvoir le livre. Mais le livre en lui-même n’est qu’un contenant. Il faut déjà regarder ce qu’on entend par livre et de quel genre de livre on parle.
Est-ce qu’on parle de livre en tant que support de la connaissance, où on peut mettre tout et n’importe quoi ? Est-ce qu’on parle de livre en tant que manuel scolaire ? Est-ce qu’on parle de livre en tant qu’élément de distraction ? Parce qu’on sait très bien qu’à partir du livre, on peut avoir le roman, on peut avoir le théâtre, on peut avoir la poésie, on peut avoir les essais.
Donc, le livre est un tout. Vous voudriez peut-être qu’on essaie de restreindre la perspective même de la compréhension du phénomène livre, pour qu’on essaie d’être plus pratique, plus concret, parce que le livre, c’est un tout. Le livre est l’aboutissement d’une politique, mais également le livre est aussi un objet que n’importe quel auteur aimerait bien avoir, c’est-à-dire la concrétisation de sa pensée.
Alors, pour ce qui se passe en Afrique, je ne pourrais pas généraliser, parce qu’il y a plusieurs Afriques. L’Afrique subsaharienne, francophone ou anglophone, lusophone ou hispanophone, les politiques ne sont pas les mêmes.
Du moment qu’on peut saisir une politique globale d’une entité étatique, c’est-à-dire revenir sur la question de qu’est-ce que les nations, les États, post-indépendants, indépendance, en compte politique du livre, c’est creuser à l’intérieur de la politique et c’est creuser à l’intérieur, n’est-ce pas, des questions de souveraineté, des questions de contenu qu’on donne, mais là, c’est la politique générale, mais comme vous le voyez, c’est très délicat ce sujet, parce qu’en tant qu’auteur, quand je pense au livre, je pense d’abord qu’il faut que j’écrive un livre, et que dans ce livre, je diffuse un certain nombre de messages, que ce message soit des messages de loisirs ou des messages de conscientisation, c’est ce que je vais penser en tant qu’auteur, mais en tant que politique, les politiques et la politique du livre auront une autre approche qui n’est pas celle de l’auteur que je suis.
Quels sont les points faibles de l’industrie du livre ?
Les points faibles d’abord, premièrement, c’est la politique, les politiques culturelles. Les politiques culturelles, les politiques éducationnelles et les politiques stratégiques, macro- stratégiques, c’est-à-dire la vision d’ensemble que les États ont.
Parce que le livre en lui-même est un condensé, n’est-ce pas, de tous ces éléments. (17:01) Lorsqu’on voit un État qui se développe, c’est d’ailleurs parce que cet État a pensé le contenu de la connaissance qui va être diffusé, qui va être dispatché, qui va être, avant ces deux éléments, pensé. Et ces politiques vont être intégrées dans des livres, dans des contenus.
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C’est des contenants qui sont des manuels scolaires, mais également qui sont des livres récupérés par les États pour pouvoir les promouvoir. Et à ce moment-là, le système éducatif devient le premier client de l’auteur que je suis. On prendra donc mon livre, on le met dans le programme scolaire pour que les connaissances qui sont contenues et diffusées dans mes livres puissent être largement partagées.
Et vous verrez que la politique du livre en Afrique francophone n’a pas encore totalement son autonomie. Parce que beaucoup, et là je parle, n’est-ce pas, de la politique publique du livre, beaucoup d’éditeurs ont du mal à pouvoir produire en Afrique, beaucoup d’auteurs ont du mal à pouvoir produire en Afrique, ou moins être édités en Afrique, parce qu’il y a très peu de maisons d’édition de qualité qui respectent la nomenclature, n’est-ce pas, éditoriale, dans l’art de la chose. Et de l’autre côté, il y a très peu, n’est-ce pas, de politique incitative pour l’industrie du livre en tant que valeur économique.
Parce que le livre est un bien qu’on peut vendre et donc qu’on peut acheter. Le livre génère de l’argent. Le livre fait vivre l’industrie du livre.
Et quand on parle de l’industrie du livre, ça va de l’accès au papier qu’on va utiliser pour produire le livre. Ce papier, la pâte à papier ou l’arbre, comment est-ce qu’on arrive au papier Est-ce qu’on l’achète sur place ? Est-ce qu’on l’importe ? Vous allez voir que tous ces éléments vont impacter le prix du livre. Et est-ce que le papier, il est produit sur place ? Est-ce que les imprimeries qui sont sur place sont de bonne qualité pour pouvoir produire moins de données à lire, un donné à lire acceptable en termes de qualité ? Est-ce que les sujets développés dans le livre sont suffisamment attractifs pour que le public se transforme en client ? Et là, je suis en train de prendre l’aspect véritablement économique de la chose.
Pour qu’un client se sente intéressé par un produit, il faut que le produit puisse répondre aux attentes du client.
Qu’est-ce que le lecteur potentiel africain au sud du Sahara et pour ce qui concerne notre zone, la zone dite francophone et anglophone, qu’est-ce que le lecteur attend du livre ?
En dehors des politiques éducationnelles où les livres sont mis dans des programmes éducatifs, mais le lecteur lambda qui veut acheter un livre, quelle est la demande ? Qu’est-ce que les lecteurs aujourd’hui en Afrique attendent des écrivains ? Et que derrière, les industriels ou les opérateurs économiques puissent considérer que le livre peut devenir un outil, un donné à vendre, autrement dit prendre une valeur économique et transformer cette valeur en source de vie sociale et économique.
Est-ce que tous ces éléments sont suffisamment moins pertinemment étudiés pour que la politique du livre ne soit pas simplement une politique publique, mais également une politique privée et peut-être, quand on en parle aussi, une politique de partenariat public et privé.
Donc tous ces éléments doivent pouvoir être analysés concrètement pour qu’on comprenne que le livre n’est pas simplement un vecteur culturel, mais c’est également un vecteur économique. Pour cela, il faudrait que les politiques sur place puissent être incitatives pour que les opérateurs économiques puissent injecter leur argent et puissent revenir, n’est-ce pas, avec ce qu’on appelle le return on investment, c’est-à-dire le retour à l’investissement. Donc qu’ils puissent dégager des bénéfices.
Ce sont ces éléments qu’il faut mettre sur place, supplier, analyser froidement pour que le livre puisse avoir un nouvel envol. Parce qu’effectivement, le livre a un déficit quantitatif, mais également qualitatif. Les deux éléments pouvant impacter sur la rentabilité de l’industrie du livre en Afrique francophone et anglophone.
Il y a certaines maisons d’édition africaines qui sont focalisées sur la représentation de la culture et même des méthodes pédagogiques rien que locales. Toute chose qui rend les livres locaux assez invisibles sur le marché international. Je peux me tromper ?
Non, vous ne vous trompez pas. C’est à ça que je parlais, n’est-ce pas, de politique culturelle des pays. En quelle langue écrit-on dans nos livres ? Quels sont les locuteurs de ces langues ? Autrement dit, quelles sont les personnes qui parlent ces langues-là ? Et ces langues sont-elles commerciales ? Est-ce que ces langues intéressent le lecteur lambda ? Est-ce que ces langues sont-elles circonscrites dans un périmètre assez restreint ou alors plus élargi pour que le livre écrit en ces langues-là puisse intéresser un marché ? Parce que j’insiste encore sur la valeur économique du livre.
Un éditeur ne va pas produire, du moins éditer un livre qui ne se vend pas. Il est en train, n’est-ce pas, d’injecter de l’argent là où il ne pourra jamais revenir sur ses fonds d’investissement. Non seulement les livres, en tant que contenant, doivent avoir un contenu, autrement dit l’écriture, et la valeur stratégique de ces écritures se transforme en valeur économique.
Cette valeur économique va faire vivre toute la chaîne industrielle du livre, partant de celui qui produit la pâte à papier à celui qui produit de l’encre à l’imprimeur, au distributeur, à l’éditeur et évidemment à l’écrivain lui-même. Maintenant, ce qui concerne la culture.
La culture ne peut être intéressante à l’intérieur du livre que si les peuples assument leur culturalité propre, autrement dit leur identité culturelle est assumée, et que ces peuples-là savent exactement là où ils veulent aller, la trajectoire de leur développement est bien précise, et le livre va donc devenir un vecteur du développement, un vecteur des facteurs de développement, parce que non seulement le livre permet de diffuser la connaissance, mais il permet également non seulement de diffuser cette connaissance, mais également de former.
Le livre est un moteur de la connaissance, le livre est un moteur du transformationnel à l’intérieur des États, des sociétés, mais également à l’échelle de l’individu lui-même. Je peux avoir accès à des connaissances qui ne sont pas des connaissances liées à l’univers des universités des grandes écoles, des lycées et des collèges, mais à mon univers propre en tant que cherchant d’une connaissance qui va enrichir mon intellect. Donc, les politiques ont un rôle, c’est vrai, mais également les individus ont un autre rôle, celui d’accès à la connaissance.
Et cette démocratisation de la connaissance que représente le livre est intrinsèque à la trajectoire que les États ou les peuples doivent suivre pour leur développement. Ce qui se passe en Afrique de l’Est est totalement contraire à ce qui se passe en Afrique francophone. Ce qui se passe en Afrique anglophone du côté de l’Afrique de l’Ouest est également différent de ce qui se passe en Afrique centrale.
Il faut une vision d’ensemble qui parle de l’Afrique. Et quand on parle de l’Afrique, il faudrait qu’on arrive à harmoniser la vision de ce que l’Africain pense de l’Afrique au-delà des querelles linguistiques lusophones, anglophones, francophones, parce que toutes ces langues-là sont des langues étrangères qu’on est obligé aujourd’hui d’utiliser pour diffuser notre pensée.
Mais si on pense que nous pouvons arriver, comme cela se fait en Afrique de l’Est aujourd’hui avec le Swahili, à des langues régionales, cela également va permettre à l’investissement du livre de penser un marché global avec plusieurs millions de lecteurs possibles qui vont avoir accès à un livre écrit dans une langue régionale.
Et c’est ça qui est un vecteur important du lien entre l’économie, les langues locales ou les langues internationales. Tous ces éléments appartiennent à l’univers culturel et la vision que les pays, les Etats, les nations ont de leur avenir.
Puisque vous parlez de l’aspect économique, on a constaté que les livres édités en France, par exemple, viennent en Afrique et au Cameroun, précisément avec des prix assez exorbitants… Est-ce que ce n’est pas un problème qu’il faut résoudre ?
Je pense que vous avez parfaitement raison. Par exemple, mon dernier essai coûte 23,90 euros. Ça équivaut à environ 15 000 francs CFA. Vous voyez là immédiatement le lien entre le coût, le prix du livre, le prix d’achat sur le marché du livre et le pouvoir d’achat potentiel du potentiel acheteur.
La question qui se pose là, c’est quel genre de politique on peut mettre en place pour que l’éditeur qui édite son livre en France, avec les taxes, avec sa marge bénéficiaire, puisse au moment de vendre le même livre en Afrique, bénéficier des allègements, ne serait-ce que parce que ces livres qui arrivent, écrits par des nationaux, ou ce que vous appelez les Camerounais, pour prendre l’exemple du Cameroun, de la diaspora, puissent bénéficier, n’est-ce pas, d’un accompagnement en termes soit de fiscalité, soit d’abondement au niveau du prix, pour permettre à ce que l’éditeur ne puisse pas perdre dans son investissement, mais permettre également à ce que le livre écrit et rentré au Cameroun, puisse être accessible.
Mais vous voyez également que ça ouvre d’autres perspectives, avec des questions d’orientation politique.
Entretien mené par Alphonse Jènè