Quoiqu’en pense le jury Nobel, et en dépit des appels récurrents à une dénucléarisation de la planète, les puissances dotées de l’arme suprême n’en démordent pas et justifient de la conserver, pour justement ne pas avoir à l’utiliser.
Le Nobel de la paix a récompensé vendredi le groupe japonais Nihon Hidankyo, qui regroupe des survivants d’Hiroshima et Nagasaki, les hibakushas, aujourd’hui défenseurs d’un monde purgé de l’arme atomique.
En attribuant le prix, le comité Nobel s’est inquiété de voir qu »aujourd’hui le tabou de l’utilisation de l’arme nucléaire est sous pression », s’alarmant des « menaces d’utilisation d’armes nucléaires proférées dans le cadre de la guerre en cours ».
Un tabou renforcé par la multiplication des tensions internationales, des rhétoriques menaçantes et du développement des arsenaux un peu partout dans le monde.
Fin septembre, le président Vladimir Poutine avait esquissé une modification de la doctrine russe en prévenant que son pays pourrait utiliser la bombe en réponse à tout assaut lancé par un pays non doté de l’arme nucléaire mais soutenu par une puissance dotée.
– « Lignes rouges » –
Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine en février 2022, Moscou agite régulièrement le chiffon rouge. Dans le but, essentiellement, de convaincre les Occidentaux de ne pas aller trop loin dans leur soutien à Kiev, s’accordent les experts.
Pour Alexander Gabuev, spécialiste de la Russie au Centre Carnegie, « ce n’est pas une coïncidence » si la déclaration de Vladimir Poutine est intervenue à la veille d’une rencontre entre le président américain Joe Biden et Volodymyr Zelensky. Le président ukrainien venait y discuter de l’autorisation d’utiliser des missiles occidentaux pour frapper en profondeur le territoire russe.
Le chef du Kremlin a voulu rappeler ses « lignes rouges » et souligner que « ses déclarations doivent être prises plus au sérieux », analyse M. Gabuev dans une note.
L’attribution du Nobel à Nihon Hidankyo rappelle le coût humain de l’utilisation d’une arme nucléaire, souligne de son côté Lukasz Kulesa, du centre britannique Rusi.
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Mais c’est aussi « un signal fort adressé à la Russie, qui est sans doute le pays qui a normalisé un discours familier, voire léger, sur l’emploi de l’arme nucléaire depuis le début de l’invasion russe en Ukraine », affirme à l’AFP Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique.
« Je ne crois pas que le risque type d’emploi de l’arme nucléaire soit plus important aujourd’hui qu’il ne l’était il y a cinq ans », estime-t-il cependant. « La logique de dissuasion reste fermement établie dans les pays dotés de l’arme nucléaire, y compris chez Vladimir Poutine ».
Depuis 1947, deux ans après Hiroshima et Nagasaki, un baromètre symbolique est censé mesurer le risque de déflagration, l' »horloge de l’apocalypse ». Celle-ci a été maintenue cette année à 90 secondes du gong fatidique, le plus près qu’elle ait jamais été de minuit, l’heure fatidique à ne jamais atteindre.
– « Non-utilisation en premier » –
La faute à la multiplication des crises, l’effilochage d’accords de réduction des armes conclus pendant la Guerre froide et la modernisation des arsenaux, selon ses concepteurs, l’association américaine de scientifiques Bulletin of the Atomic Scientists.
Pékin accroît ainsi le nombre de ses missiles et sous-marins nucléaires. Mais « jusqu’ici, la Chine s’en tient à sa politique de non-utilisation en premier », observe pour l’AFP Lukasz Kulesa.
La force de frappe, « c’est l’un des attributs d’une grande puissance, et la Chine aspire à disposer d’un arsenal de dissuasion nucléaire bien développé », juge-t-il, estimant que Pékin cherche sans doute également à multiplier ses capacités de frappe en cas de conflit, pour les rendre moins vulnérables.
Quant à l’Iran, qui dément jusqu’à présent toute visée militaire de son programme nucléaire, disposer d’une arme atomique opérationnelle lui prendrait « beaucoup de temps » si le pays décidait de s’en doter, selon lui.
« Cela se ferait aussi dans un environnement international très difficile », rappelle-t-il, « car un certain nombre de pays, dont Israël, ont clairement indiqué qu’ils feraient tout pour l’empêcher de franchir le seuil nucléaire ».
Si l’arme atomique reste une arme dite de non-emploi, la dissuasion n’en reste pas moins une « construction qui repose sur l’évaluation par l’adversaire de la crédibilité de la menace », prévient Lukasz Kulesa. « Il y a toujours une possibilité d’échec, d’escalade involontaire ou non désirée qui peut aller jusqu’au niveau nucléaire ».
Source: Agence France-Presse
















