A quelques jours d’une légalisation controversée du cannabis en Allemagne, Katja Seidel fait partie des sceptiques. Pour l’experte en addiction, cette révolution doit s’accompagner d’un renforcement de la prévention auprès des jeunes mais les moyens ne sont pas là.

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« L’accès au produit sera plus facile, son image va changer et se banaliser » notamment chez les jeunes, s’inquiète Mme Seidel qui s’attend « mécaniquement » à une hausse de la consommation, « au moins au début ».
D’où la nécessité d’allier dépénalisation et prévention, une question dont le ministre de la Santé Karl Lauterbach, qui a porté la réforme, a fait une priorité. Ce médecin de profession a promis des moyens renforcés pour sensibiliser les jeunes aux dangers du cannabis, sans pour autant annoncer de montants précis.
A ce stade, l’argent et le personnel manquent, assurent les acteurs de terrain.
– Comment « toucher » les jeunes ? –
Pour les actions de prévention sur le cannabis dans les écoles de la capitale et sa région, « nous ne sommes que deux intervenants, à temps partiel », déplore Mme Seidel, salarié du centre Tannenhof Berlin-Brandenburg, spécialisé dans la prévention des addictions.
Il faudrait être, selon elle, « dix salariés au moins » pour couvrir l’ensemble des besoins.
Au Centre pour la Prévention des Addictions, un autre organisme berlinois qui intervient pour le compte de la ville auprès des jeunes, on partage la même inquiétude.
« Il nous faut plus de moyens pour répondre aux besoins. Il ne faut pas que pour un élève, ce soit juste un hasard de bénéficier d’une action », explique à l’AFP Janis Schneider, un salarié de l’organisation.
« Nous allons réaliser une énorme campagne pour expliquer, par exemple, que les jeunes qui commencent à fumer ont moins de chance de réussir leur baccalauréat », a assuré le ministre de la Santé.
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Jusqu’à 25 ans, la consommation de cannabis comporte des risques accrus pour le cerveau, encore en formation, estiment les experts.
Contacté par l’AFP, le centre fédéral d’information sanitaire, dépendant du ministère, déclare qu’il « assumera sa responsabilité en élargissant ses offres de prévention ».
L’idée d’affiches « pour dire aux jeunes que fumer c’est bête », n’enthousiasme pas les professionnels: « ça ne les touche pas, et cela ne fonctionne jamais », déplore Boris Knoblich, porte-parole du centre Tannenhof Berlin-Brandenburg.
« Ce qui marche, c’est quelqu’un qui vient, discute avec eux autour d’un café, sans professeur », explique-t-il.
La région de Bavière, dans le sud du pays, teste actuellement une formation en ligne destinée aux enseignants qui veulent se former à aborder la question du cannabis avec les élèves.
-« Kit » de prévention-
Les intervenants de l’organisme Tannenhof se présentent dans les écoles avec leur « kit » de prévention rangé dans une valise verte, siglée d’une feuille de cannabis. A l’intérieur, des documents avec des questions, des jeux, et du matériel pour des activités.
Les jeunes sont notamment amenés à lister les arguments « pour » et « contre » la consommation de cannabis, en insérant des boules bleues dans deux tubes distincts. L’intervenant leur prouve ensuite que les aspects négatifs l’emportent sur le long terme.
« Nous passons au moins trois heures avec eux, dans une atmosphère décontractée. Cela permet aux élèves de ne pas s’autocensurer », assure Pascal Noack, l’un des intervenants.
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L’Allemagne compte sur la légalisation du cannabis récréatif pour mieux lutter contre le marché noir et sécuriser la consommation, avec une meilleure traçabilité des produits utilisés.
Le cannabis restera interdit aux mineurs. La quantité que chaque adulte pourra avoir en sa possession est limitée à 25 grammes sur la voie publique et 50 grammes à domicile. La consommation est prohibée près des écoles.
En Allemagne, 8,8% des adultes entre 18 et 64 ans avaient consommé du cannabis au cours des 12 derniers mois en 2021, selon des données officielles. Un chiffre en augmentation, et qui atteint près de 10% chez les 12-17 ans.
Source: Agence France-Presse