Jihadisme et maternité au Nigeria : au cœur de la nuit, Ummanim se réveille en sang. Elle est à terme. La peur l’enserre. Elle connaît les règles du nord-est : routes fermées, checkpoints armés, couvre-feux mortels. Sortir, c’est risquer l’enlèvement ou la balle. Alors elle supplie son mari. Ne pars pas. Reste. Attends. Dans ce pays, donner la vie peut coûter la sienne.
Mais Lawan Mustafa ne peut se résoudre à l’inaction. À 4h30, alors que les premiers fidèles se lèvent pour la prière, il prend la route. Trop tard. À l’hôpital, on lui annonce la mort. Celle de son enfant. Puis celle de sa femme.
Dans ce coin du Nigeria, accoucher n’est pas un acte de vie. C’est un pari contre la guerre, contre le temps, contre l’oubli.
Magumeri abrite une base militaire. Des soldats y sont stationnés. Pourtant, la ville reste infestée de jihadistes la nuit. Des milices anti-jihadistes rôdent aussi. Mustafa aurait pu être pris pour cible. Suspect. Ennemi. Victime.
Le Nigeria est le pays le plus dangereux pour accoucher. Chaque naissance peut tuer. Le taux de mortalité maternelle atteint 993 pour 100 000. C’est un record mondial. L’Organisation mondiale de la santé l’affirme. Et pourtant, les femmes continuent d’accoucher. Privées de soins, exposées au danger, elles avancent dans l’incertitude.
Les hôpitaux tombent en ruine. Les villages n’en ont pas. Les médecins fuient. Les salaires ne tombent pas. Ceux qui restent font grève. Le système craque. Et les patients paient le prix.
– Accoucher sous couvre-feu –
Dans le nord-est du Nigeria, la guerre dure depuis 16 ans. Les femmes ne peuvent pas accoucher à l’hôpital. Les routes sont piégées. Les checkpoints bloquent tout. Les couvre-feux les enferment. Elles restent chez elles. Elles accouchent seules. Parfois, elles meurent.
« Je la rassurais. Mais on ne pouvait pas sortir. » Lawal Mustafa, 35 ans, père de cinq enfants, le dit sans détour. La peur les clouait chez eux. La route était fermée. Le danger, partout.
À 4h30, Lawan Mustafa prend la route. C’est l’heure de la première prière. Il espère encore. Mais il arrive trop tard. Ummanim est morte. Le bébé aussi.
Le taux baisse. Mais les morts restent. Chaque année, 75 000 femmes meurent en accouchant au Nigeria. C’est un quart des décès maternels mondiaux. Un chiffre insoutenable. Et pourtant, il persiste.
Le Nigeria est riche. Mais les Nigérians sont pauvres. Plus de 60 % vivent sous le seuil. Les femmes, surtout dans le nord, sont bloquées. Les traditions les empêchent de voyager. Privées de choix, confinées dans l’attente, les femmes affrontent la maternité comme on affronte une tempête : sans abri, sans issue.
Les enfants meurent aussi. Trop tôt. Trop nombreux. Le Nigeria a le deuxième taux de mortalité infantile le plus élevé au monde. Juste derrière le Niger. La Banque mondiale le confirme. Chaque naissance est un risque. Chaque vie, une course contre la mort.
– Route bloquée –
L’insurrection jihadiste dans le pays, déclenchée par le soulèvement de Boko Haram en 2009, ne fait qu’aggraver la situation.
Demander à une femme d’aller accoucher à l’hôpital, c’est parfois lui demander de risquer sa vie. La route est longue, isolée, dangereuse. Les enlèvements se multiplient. Les rumeurs circulent. Les visages disparaissent.
« Vous voulez qu’une patiente se rende dans un établissement éloigné », explique Ekeh Chizoba, responsable à l’International Rescue Committee. « Mais elle pourrait se demander : ‘Et si je me faisais enlever sur la route ?’ »
Dans le nord-est du Nigeria, la peur n’est pas une abstraction. C’est une compagne de route. Une barrière invisible, mais infranchissable.
Les professionnels de santé peuvent également être des cibles de choix pour les enlèvements, selon son collègue Saidu Liman, ce qui ajoute à la difficulté déjà grande de recruter des spécialistes dans les zones rurales.
La violence dans le nord-est a diminué depuis son pic il y a dix ans, et les grandes villes telles que Maiduguri, la capitale de l’État de Borno, ne sont plus le théâtre d’attentats-suicides ou de fusillades comme ce fut le cas par le passé.
– La guerre empêche de soigner –
Mais de vastes zones rurales échappent toujours au contrôle du gouvernement, et les attaques jihadistes, contre des populations civiles ainsi que contre des militaires, ont connu une recrudescence cette année.
Chaque jour vers 17 heures, l’armée ferme la route de 50 kilomètres qui relie Maiduguri à Magumeri, bloquant ainsi la circulation des médecins, des patients et des médicaments provenant de la capitale régionale, mieux équipée.
Même lorsque la route est ouverte, rien ne garantit qu’il n’y aura pas d’attaques.
« Ils installent un poste de contrôle et me disent que je dois attendre que les militaires dégagent la route pour avancer », explique Mohammed Bakura, un ambulancier sous contrat avec l’IRC qui fait souvent la navette entre les deux villes.
Il se souvient avec angoisse de la fois où des jihadistes ont tenté de voler sa voiture. Ce même jour, ils avaient attaqué la clinique de Magumeri.
Dans un village situé à la périphérie de Magumeri, entouré de vastes champs de sorgho et de haricots, Falmata Kawu, 30 ans, est assise dans une petite clinique où elle avait emmené sa fille Aisa l’année dernière.
La fillette de deux ans avait été transférée à l’hôpital de Maiduguri pour des complications liées à la malnutrition. La route était ouverte et elle a pu partir immédiatement, mais Aisa est décédée à l’hôpital.
S’il y avait moins de conflits et plus d’argent pour les services de santé, elle aurait pu faire soigner Aisa dans son village et « l’enfant aurait pu vivre plus longtemps », regrette-t-elle.
Source: Agence France-Presse
















