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Dévastation et régénération du parc de la Comoé

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Trans Afrique

Dévastation et régénération du parc de la Comoé. Dans cette immensité sauvage, l’un des plus vastes sanctuaires d’Afrique de l’Ouest, le silence ne rassure pas — il alerte. Le chef de patrouille avance, le regard tendu, scrutant les pistes et clairières. Et il lâche, sans détour : « L’animal le plus dangereux, ici, c’est l’homme.» Ni le lion, ni l’éléphant ne font peur. Ce sont les braconniers, les orpailleurs, les intrus. Car avant de renaître, la Comoé a été ravagée. Aujourd’hui, elle se reconstruit, pas à pas, sous haute surveillance.

Mais ceux qui viennent piller, creuser, tuer. Braconniers, orpailleurs, silhouettes furtives dans la brousse. Le parc est un sanctuaire. Mais c’est aussi un champ de lutte. Et chaque pas dans cette savane est une veille.

Le parc a été abandonné. Saccagé pendant la crise de 2002 à 2011. La Côte d’Ivoire sombrait. La Comoé aussi. Aujourd’hui, elle renaît. Les autorités ont repris la main. Mais le danger persiste. L’homme continue de piller.

Mission rare. Extrême nord-est ivoirien. Frontière avec un Burkina en guerre. L’AFP s’y est rendue. La savane est vaste. Arborée, intacte, troublante. Un tiers de la Belgique. Et pourtant, si peu explorée.

– Vautours et traces de vélos –

Sous un soleil de plomb, la vie sauvage s’anime. Des antilopes curieuses bondissent sous le soleil, tandis que des babouins en meute font entendre leurs cris rauques. Plus loin, des phacochères remuent la poussière, le groin en quête. La savane respire. Mais reste sur le qui-vive.

Le parc revit. Les animaux sont là. Le lieutenant Daouda Bamba le constate. Il dirige dix hommes de l’OIPR. Leur mission est claire : traquer, réprimer. Pas de compromis avec les agresseurs.

Depuis 2016, les efforts ont augmenté. Les animaux sont plus calmes. Ils ne fuient plus à chaque bruit. Ils ne sont plus traqués. L’officier des Eaux et Forêts le constate. Sa Kalachnikov repose à ses côtés.

Chacun sous sa tente, les hommes campent dans les hautes herbes. Les uniformes camouflés sentent le feu de camp, le petit-déjeuner à base de sardines se prépare dans la gamelle.

Un adjudant bricole son drone, « auxiliaire très précieux » pour repérer toute présence humaine. Les gardes arborent matraque et bombe lacrymo à la ceinture. « Quand on attrape des intrus, c’est souvent la bagarre ».

« La marche à pied, c’est notre quotidien. On repère la fumée d’un feu, une trace de vélo, de moto. Ou les vols de vautours », détaille le lieutenant Bamba.

« Trois grandes menaces pèsent sur le parc », explique-t-il: « le braconnage, l’orpaillage clandestin et le pâturage illégal ».

La Comoé est immense. 1,14 million d’hectares. 11 500 km² de savane et de forêt. Un fleuve la traverse sur 230 km. C’est l’un des plus vastes parcs d’Afrique de l’Ouest. Et l’un des plus précieux.

Créée en 1926. Devenue parc national en 1968. La Comoé impressionne. Sa biodiversité est unique. Elle rivalisait avec les plus grands parcs d’Afrique. Aujourd’hui, elle veut retrouver ce rang.

– Mammifères « en pagaille » –

Raynald Gilon se souvient. Ancien commando belge. Trente ans dans le parc. La faune était splendide. « Une époque formidable », dit-il. « Des animaux partout, chaque jour. »

La faune était foisonnante. Éléphants, lions, léopards, hyènes. Antilopes, crocodiles, aigles pêcheurs. Ils attiraient les regards. Et les touristes. 6 000 à 7 000 chaque saison. Des Européens, venus par avion. Le parc rayonnait.

Kafolo est poussiéreux. À la pointe nord-ouest du parc. Le « Kafolo Safari Lodge » s’effondre. Tours en pierre décrépies. Piscine bleue, vide, abandonnée. Vestiges d’un âge d’or révolu.

Six hectares. Longtemps abandonnés. Aujourd’hui, occupés. Des ouvriers y vivent. Ils construisent des routes. Le lodge a changé de visage.

La Comoé n’a pas échappé au tumulte. En 2002, la crise ivoirienne éclate. Le parc se retrouve en plein cœur des territoires rebelles. Ces groupes armés cherchent à renverser le président Laurent Gbagbo.

La savane devient silencieuse, surveillée, fracturée. Les pistes ne mènent plus aux animaux, mais aux hommes en armes. Et dans ce sanctuaire naturel, c’est désormais la guerre qui dicte les règles.

Les gardes partent. La Comoé est livrée. Braconniers, orpailleurs, paysans s’installent. Plus rien ne protège le parc. Raynald gronde : « Un massacre. Un saccage total. » Même les rebelles pillaient. Ils prétendaient le défendre.

« La Comoé a failli mourir », se navre le vieux broussard. L’Unesco inscrit le parc sur la liste du Patrimoine mondial en péril dès 2003, signe avant-coureur d’un avenir incertain.

– Insatiables « convoitises » –

La crise est finie. Le pouvoir change. Ouattara reprend la main. L’État agit. Un projet d’urgence est lancé. Agents formés. Unités mobiles déployées. Équipements achetés. Le parc est sous surveillance.

Le commandant Henri Tra Bi Zah observe le parc avec satisfaction. Les patrouilles tournent, les équipements sont là, les agents sont formés. Et surtout, la faune respire. « Tout cela permet de surveiller vraiment le parc, et d’y ramener la quiétude pour la faune », dit-il avec fierté.

Ce n’est pas seulement une victoire logistique. C’est une reconquête du silence, du rythme naturel, de l’équilibre. Dans cette savane longtemps meurtrie, la paix revient — pas celle des hommes, mais celle des bêtes.

En 2017, un tournant historique. La Comoé est retirée de la liste funeste de l’Unesco. Un signal fort : la nature peut guérir. C’est une première pour un parc africain, une reconnaissance rare.

– La persistance des menaces –

Après des années de chaos, de pillage, de silence, le parc retrouve sa place. Non plus comme victime, mais comme modèle. Un symbole de résilience, porté par ceux qui ont refusé de baisser les bras.

Aujourd’hui, les divers inventaires montrent une « hausse progressive de la faune » et une « dynamique de rétablissement », selon l’UICN.

Trois troupeaux d’éléphants ont été repérés, pour près de 200 individus au total. Les chimpanzés sont de retour. Le lion et le lycaon sont considérés comme éteints, mais les léopards, les hyènes tachetées ou encore le caracol sont courants. Les antilopes se comptent par milliers, les buffles atteindraient 3 000 têtes.

Il faut néanmoins s’enfoncer des dizaines de km en profondeur dans la savane et affronter parfois des nuées de mouches tsé-tsé pour espérer voir l’une de ces bêtes, des antilopes pour l’essentiel, a-t-on constaté.

La Comoé « est toujours l’objet de convoitises car elle regorge de ressources », prévient le commandant Tra Bi Zah qui affirme que l’orpaillage, « plus gros problème », est « contenu ».

– Bientôt des touristes? –

Les limites du parc semblent plutôt respectées par les villageois. « Vraiment on ne rentre pas. Si on te prend là-bas tu vas directement en prison », assure, assis devant sa masure, un paysan de Bambéla, à quelques mètres des premières savanes.

En 2024, 125 personnes, dont 105 orpailleurs et 18 braconniers, ont été arrêtées dans le parc, selon l’OIPR, qui dispose au total de 160 agents sur le terrain.

Le parc est dans le voisinage direct de la très troublée frontière avec le Burkina. Aucun jihadiste n’y a été arrêté ou même récemment repéré, selon les sources sécuritaires interrogées par l’AFP.

Le département du Bounkani est classé « rouge » par les chancelleries occidentales, au grand regret de l’OIPR qui voudrait relancer le tourisme local en faisant du parc un « maillon fort du développement socio-économique » du nord-est ivoirien.

À Kafolo, un nouvel hôtel, avec accrochés aux murs les trophées de chasse des années de gloire, accueille les ONG, cadres du BTP et rares étrangers de passage.

« Le parc a du mal à se remettre du désastre. (…) Le renouveau est fragile », juge le député local, Abdoulaye Karim Diomandé. « Mais il y a de bonnes perspectives », veut-il croire.

Source: Agence France-Presse

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