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Confiscation électorale en Afrique : urnes verrouillées, oppositions muselées

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Dans de nombreux scrutins africains, l’opposition ne disparaît pas par choix, mais par stratégie. Les dirigeants orchestrent une confiscation électorale méthodique : lois taillées sur mesure, intimidations ciblées, arrestations dissuasives. Le pluralisme s’efface, le suspense s’éteint. Les élections deviennent des cérémonies de reconduction, façonnées pour préserver le pouvoir, non pour le remettre en jeu.

Et pourtant, derrière cette façade de stabilité, le feu couve. La jeunesse s’impatiente, les rues grondent, la confiance s’effondre. Chaque bulletin sans choix devient un symbole : celui d’une démocratie en trompe-l’œil, menacée par ceux qui prétendent la défendre.

Mercredi, la Tanzanie a basculé. Ce qui devait être un moment de démocratie s’est transformé en scène de violence. Les élections présidentielles et législatives ont dégénéré : affrontements, répression, peur.

Les urnes, censées incarner le choix du peuple, sont devenues le théâtre d’un chaos politique. Dans ce tumulte, c’est l’idée même de démocratie qui vacille, prise en étau entre autorité et contestation.

La rue s’est enflammée. Des centaines de manifestants ont crié leur colère. Les deux principaux opposants à la présidente Samia Suluhu Hassan ? L’un emprisonné. L’autre écarté. Le peuple réagit. La tension monte.

– Présidents à vie, oppositions écartées –

La veille, en Côte d’Ivoire, le scénario s’est répété. Alassane Ouattara a décroché un quatrième mandat, fort de près de 90 % des suffrages. Mais derrière ce score écrasant, une réalité dérangeante : ses deux principaux adversaires n’étaient pas en lice.

Exclus du jeu électoral, ils ont laissé le champ libre à un président déjà bien installé. Ce triomphe sans rival soulève une question plus vaste : que vaut une victoire quand le choix est verrouillé ? Et que reste-t-il de la démocratie quand l’alternance devient impossible ?

Au Cameroun, l’histoire semble figée. Paul Biya, 92 ans, président depuis 1982, a décroché un huitième mandat. Un record de longévité, mais aussi de verrouillage politique. Son principal adversaire n’a même pas pu concourir : la cour constitutionnelle l’a écarté. Ce n’est plus une élection, mais une reconduction. Et dans ce décor figé, la démocratie peine à respirer.

La démocratie, jadis promesse universelle, s’effrite. Sur tous les continents, elle cède du terrain. En Asie, en Afrique, dans les Amériques, les régimes autoritaires redoublent d’ingéniosité pour museler leurs adversaires. Lois sur mesure, candidatures invalidées, répressions ciblées : l’opposition devient une menace à neutraliser.

Ce n’est plus le débat qui fait vivre la politique, mais le contrôle. Et dans ce glissement silencieux, c’est l’idée même de démocratie qui vacille, piégée entre façade électorale et pouvoir sans partage.

– « Crise de la gouvernance » –

Sur le continent africain, les signaux d’alerte se multiplient. Élections verrouillées, oppositions muselées, contestations réprimées : la démocratie s’essouffle.

Ce n’est plus un simple recul. C’est une crise. Heritier Brilland Ndakpanga, du Centre pour le dialogue humanitaire, le dit sans détour : La gouvernance démocratique est en péril. Les institutions vacillent. Le dialogue s’efface.

Une crise profonde, où les institutions perdent leur légitimité et les citoyens leur confiance. Et dans ce climat tendu, les conflits couvent, faute de dialogue et de transparence.

Et pourtant, 2024 a surpris. La démocratie a tenu bon. Au Ghana, au Botswana, à Maurice, au Sénégal : alternances pacifiques. Des transitions sans heurts. Des urnes respectées. Un souffle d’espoir.

Mais ces pays ont toujours compté parmi les plus démocratiques du continent. Et les résultats peuvent justement avoir encouragé d’autres gouvernements à ne prendre aucun risque dans les urnes.

Avec des commissions électorales, pourtant censées être indépendantes, qui sont souvent utilisées pour disqualifier les opposants les plus menaçants, selon les analystes interrogés par l’AFP.

Les élections ne sont plus neutres. Stephane Akoa, politologue camerounais, l’affirme : Elles sont contrôlées par le gouvernement… et ses factions les plus dures. Il parle d’une “perversion du système”. Le pluralisme s’efface. La démocratie se tord.

– Répression et résilience –

En Centrafrique, les élections générales du 28 décembre se sont déroulées sans l’opposition, qui a choisi de se retirer, dénonçant un processus verrouillé par le pouvoir. En Tanzanie, Tundu Lissu, figure de la contestation, avait réclamé des réformes électorales. Il a été arrêté pour trahison et attend désormais son jugement en détention.

En coulisses, les élites des milieux politiques et économiques de ces pays veulent s’assurer que leurs intérêts ne seront pas remis en question par un changement de régime. Ils doivent maintenant faire face aux jeunes générations exigeant une meilleure gouvernance et des emplois.

Au Kenya, les manifestations de la Génération Z ont été violemment réprimées. En revanche, elles ont conduit à Madagascar au renversement par l’armée du président Andry Rajoelina, qui a fui à l’étranger.

« Les gens deviennent plus difficiles à contrôler et créent des mouvements d’opposition plus efficaces. Et les gouvernements répondent avec le mécanisme qu’ils ont utilisé dans le passé, à savoir la répression », a expliqué Nic Cheeseman, expert des élections africaines à l’université britannique de Birmingham.

Dans le même temps, il y a de moins en moins de pression de l’extérieur, de nouveaux partenaires internationaux moins regardants sur les valeurs démocratiques ayant émergé en Afrique, notamment la Chine, la Russie, la Turquie et les Émirats arabes unis.

– « Compétition géopolitique » –

« Les gouvernements africains ont des alternatives en 2025 », selon Mandipa Ndlovu, chercheur au Centre d’études africaines de l’université de Leyde, aux Pays-Bas.

« La compétition géopolitique érode l’état de droit. La démocratie n’est pas une condition préalable pour travailler avec la Chine ou la Russie », a-t-il relevé.

Quant aux États-Unis, l’administration du président Donald Trump a adopté une approche plus transactionnelle de la diplomatie, demandant à ses ambassades de modérer leurs critiques des élections.

« Vous n’obtiendrez aucun retour de la part des États-Unis, qui ont historiquement été parmi les plus virulents en matière d’élections », a relevé M. Cheeseman, ajoutant que les coupes dans l’aide étrangère américaine ont également supprimé le soutien aux groupes pro-démocratie.

Pour Mandipa Ndlovu, « la génération Z nous sauvera tous ». « Mais si nous ne pouvons pas réformer les institutions, rien ne changera. »

Cela peut exiger une crise majeure, comme celle qu’a connue le Kenya en 2007 et 2008, lorsqu’une élection contestée a conduit le pays au bord de la guerre civile. Le pays s’est alors doté d’une nouvelle constitution démocratique qui a largement garanti des élections libres et équitables.

« Mais de grandes manifestations autour des élections ne suffisent probablement pas à elles seules pour amener les régimes et les élites à changer de cap », a assuré M. Cheeseman. « Ce qui m’inquiète, c’est que dans de nombreux pays, les populations deviennent de plus en plus exigeantes et les gouvernements de plus en plus répressifs. »

Source: Agence France-Presse

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