Longtemps discret, Zohran Mamdani n’était qu’un élu local parmi d’autres. Mais en quelques mois, il s’est imposé comme une voix musulmane dans le cœur de l’Amérique — singulière, audible et désormais incontournable.
Né dans une famille d’intellectuels de la diaspora indienne, il porte en lui les mémoires d’exil, les luttes de minorités, les rêves d’égalité.
Classé à gauche du Parti démocrate, il ne se contente pas de suivre les lignes : il les redessine. Son ascension fulgurante le propulse à la tête de New York, devenant le premier maire musulman de la ville.
Ce n’est pas qu’une victoire électorale. C’est un symbole. Celui d’une Amérique en mutation, où les marges deviennent centre, et où l’identité ne se cache plus — elle gouverne.
Socialiste assumé. Opposant farouche à Donald Trump. Né en Ouganda, arrivé aux États-Unis à sept ans. En juin, il crée la surprise en remportant la primaire démocrate. Mardi, il est élu maire de New York. Il prend la tête de la plus grande ville du pays.
– De l’héritage à l’engagement –
Il avance sous les projecteurs d’un héritage imposant. Le terme fuse : « nepo baby ». Fils de. Héritier. Mais derrière l’étiquette, une histoire plus dense. Sa mère, Mira Nair, cinéaste de renom, a capté les marges du monde avec « Salaam Bombay! » et « Le mariage des moussons ».
Son père, Mahmood Mamdani, penseur rigoureux, a décrypté les dynamiques africaines depuis les amphithéâtres de Columbia. Zohran Mamdani naît au croisement de ces deux regards : l’un sensible à l’image, l’autre à la structure.
Et pourtant, il ne se contente pas d’être le produit d’un lignage. L’héritage devient levier, la mémoire se fait politique. Acteur d’un récit nouveau, Zohran Mamdani incarne une Amérique qui commence enfin à écouter les voix venues d’ailleurs.
Il incarne une jeunesse privilégiée de la côte Est. Lycée d’élite: Bronx High School of Science. Puis Bowdoin College, université progressiste du Maine. Un parcours balisé. Mais il choisit la rupture.
En 2015, il devient Young Cardamom. Il se lance dans le rap. Son style : décalé, engagé. Son influence : Das Racist, groupe new-yorkais provocateur. Deux membres sont d’origine indienne. Il s’inscrit dans cette lignée.
L’aventure musicale tourne court. Il se décrit comme un « artiste de seconde zone ». Puis, il lit que Heems soutient un candidat au conseil municipal. Il s’engage. Il rejoint la campagne. La politique devient une obsession. Il ne lâchera plus.
– « Affordability » –
Il aide les plus fragiles. Conseiller en prévention des saisies immobilières, il soutient les propriétaires en détresse. Son objectif : éviter les expulsions. Puis, en 2020, il franchit un cap. Élu représentant à l’Assemblée de l’État de New York. Son terrain : Astoria, dans le Queens. Un quartier marqué par les migrations récentes.
Réélu deux fois. Présent sur le terrain. Il impose son image : musulman progressiste. À l’aise partout. À la marche des fiertés comme à la rupture du jeûne de l’Aïd. Il incarne une nouvelle synthèse.
Son mot d’ordre : « affordability ». Objectif : rendre New York abordable. Pas pour les riches. Pour les autres. Les 8,5 millions d’habitants qui peinent à suivre. Il promet : – Plus de loyers encadrés. – Des crèches gratuites. – Des bus gratuits. – Des épiceries publiques. Un programme clair. Une ligne de front.
Son engagement ne date pas d’hier. Depuis ses années étudiantes, Zohran Mamdani porte la cause palestinienne comme un combat moral. Mais ses mots sont tranchants : Israël, un « régime d’apartheid » ;
Gaza, le théâtre d’un « génocide ». Ces prises de position lui valent l’hostilité d’une partie de la communauté juive, qui voit en lui une figure clivante. Face aux critiques, il ne recule pas — mais il nuance.
Ces derniers mois, il multiplie les gestes, les paroles, les actes pour affirmer une ligne claire : opposition à l’antisémitisme, sans concession. Il veut prouver qu’on peut défendre les droits des Palestiniens sans nier ceux des Juifs. Qu’on peut être radical sans être haineux. C’est une ligne de crête. Il s’y tient.
Le candidat a aussi dénoncé ces derniers jours des attaques « islamophobes » de la part de certains soutiens de son principal adversaire, Andrew Cuomo.
– « Petit communiste » –
Il aime le cricket et le football. Il vient de se marier avec Rama Duwaji, illustratrice américaine. Militant aguerri, il passe à l’action. Porte-à-porte, tractage : il mobilise. Sur les réseaux, il innove. Humour, audace, efficacité. Sa campagne marque les esprits.
Pour Lincoln Mitchell, professeur à l’université Columbia, « il a incarné une sorte d’hybride entre une campagne à l’ancienne des années 1970 et une campagne ultra-moderne de 2025 ».
Celui qui prendra son poste à partir du 1er janvier a promis de s’opposer « farouchement » à la politique anti-immigration de Donald Trump et à sa guerre judiciaire contre ses « ennemis politiques ».
Le président a multiplié les appels à voter contre celui qu’il qualifie de « petit communiste ». Mais paradoxalement, comme lui le futur maire est un « outsider » ayant « réussi à rallier (les) électeurs insatisfaits », estime Costas Panagopoulos, de la Northeastern University.
Le parallèle avec le milliardaire républicain, qui a construit son empire à New York, s’arrête là. Naturalisé américain en 2018, Zohran Mamdani ne pourrait pas se présenter à l’élection présidentielle.
Pour cette raison, mais aussi parce que la ville n’est guère représentative des orientations politiques du reste du pays, les experts renâclent pour le moment à lui prédire un destin national.
Source: Agence France-Presse















