Outil de désinformation dans la présidentielle camerounaise, l’intelligence artificielle s’infiltre dans les campagnes. Exemple frappant : une photo de foule truquée, où les mêmes visages sont grossièrement dupliqués, utilisée pour simuler une mobilisation populaire autour d’un candidat.
Dimanche, huit millions de Camerounais se rendront aux urnes pour élire leur prochain président. Un scrutin où Paul Biya, 92 ans dont 43 au pouvoir, part une fois de plus grand favori, et où les 11 autres candidats rivalisent de créativité pour exister. Au point pour certains partis de verser dans la désinformation.
C’est le cas, selon la journaliste camerounaise Annie Payep, du parti d’opposition historique, le Social Democratic Front (SDF). Elle ne doute de rien. Début octobre, son directeur de campagne lui a envoyé, comme toujours via WhatsApp, plusieurs clichés de Joshua Osih. On le voit devant une foule dense, lors d’un meeting à Yagoua, dans le nord.
« Mais j’ai trouvé les images bizarres », raconte-t-elle à l’AFP. « Choquée », elle comprend rapidement que les clichés ont été modifiés par IA. L’AFP ne laisse aucun doute. Les visages sont dupliqués, les incohérences visuelles typiques de l’IA sautent aux yeux. Et pour couronner le tout : le logo de Gemini, l’assistant IA de Google, apparaît en plein cadre.
Le MP3 a déclenché la colère en ligne. Sur X, il a publié une image IA montrant son candidat, Hiram Iyodi, en plein bain de foule dans un marché. Les internautes ont aussitôt réagi, dénonçant la supercherie.
Même la vidéo de campagne du président Biya n’y échappe. Elle contient des images générées par IA, visiblement artificielles. Résultat : les internautes l’ont raillée massivement sur les réseaux sociaux.
– Utilisation artisanale –
L’essor de l’IA générative a amplifié les pratiques de désinformation autour des élections. En 2024, l’outil a semé le trouble. Selon l’IPIE, 80 % des pays ayant organisé des élections ont subi des perturbations liées à son usage. Une alerte mondiale.
Un tournant s’opère, alerte Destiny Tchehouali. La désinformation intentionnelle ne vient plus seulement de militants isolés. Désormais, ce sont les équipes de campagne officielles qui l’utilisent directement.
Des fausses photos circulent pour simuler une forte mobilisation. Objectif : créer l’illusion d’un élan populaire. « Les images de liesse poussent le citoyen à adhérer à des candidats perçus comme dynamiques », analyse le politologue Fred Eboko.
Elles ciblent « souvent l’électorat encore indécis », confirme Destiny Tchehouali. Ces foules « disproportionnées » servent un double objectif. Elles permettent aux partis d’occuper l’espace médiatique à moindre coût. Et surtout, elles affichent une forme de crédibilité, souligne-t-il.
Les internautes ne tombent pas dans le piège. Les jeunes, nombreux dans l’électorat et familiers des outils IA, ont vite réagi. Ces contenus grossiers ont été tournés en dérision sur les réseaux sociaux.
Ces images bricolées discréditent les candidats visés. Mais leur impact va plus loin. Elles jettent le doute sur d’autres contenus, pourtant exempts de toute trace flagrante d’IA, souligne le politologue camerounais Moussa Njoya.
– « Vide juridique » –
Face au tollé, le SDF contre-attaque. Dans un communiqué, il nie avoir diffusé puis effacé des photos truquées sur WhatsApp. Il dénonce des « manœuvres » de ses « détracteurs » pour « salir l’image » de son candidat. Mais deux autres personnes interrogées par l’AFP livrent le même récit que Mme Payep, captures d’écran à l’appui.
À l’inverse, la porte-parole de Hiram Iyodi assume. Elle a posté la photo générée par IA et n’a rien nié. Sur X, elle tranche : « Je ne vais pas m’excuser de vivre dans mon temps. »
Destiny Tchehouali alerte : la tendance est inquiétante. À terme, elle menace la vie politique et mine la confiance citoyenne. Et ce sera pire, prévient-il, quand la maîtrise des outils IA deviendra plus fine.
La lutte contre la désinformation reste fragile. Au Cameroun, des lois punissent les contenus manipulés à caractère haineux. Pourtant, leur application reste rare. En cause : le manque de moyens pour identifier les sources. « On ne remonte pas jusqu’à l’origine », déplore-t-il.
Les images IA qui enjolivent la réalité et dopent la visibilité d’un candidat échappent à toute sanction. « Le vide juridique est réel », déplore-t-il. D’où son appel pressant aux autorités électorales indépendantes : « Agissez. Mettez en place des mesures concrètes dès maintenant. »
Source: Agence France-Presse