Lettre ouverte à Général Valsero : il fut un temps où votre voix s’imposait comme l’une des plus singulières et des plus indispensables du paysage contestataire camerounais. Une voix née dans les marges, façonnée par la rue, portée par un rap frontal qui dénonçait sans détour les dérives d’un système verrouillé. Une voix qui, pour beaucoup, incarnait un courage brut, sans filtre, sans calcul — presque sans stratégie, tant elle semblait guidée par la seule nécessité de dire.
Aujourd’hui, cette même voix continue de porter, mais différemment. Et c’est précisément cette différence — ce déplacement progressif — qui interroge, qui dérange parfois et qui mérite d’être analysée avec lucidité.
Cette lettre ouverte n’est ni un réquisitoire ni un procès d’intention. Elle se veut un exercice journalistique : une mise en perspective, une tentative de comprendre un glissement éditorial qui, pour nombre d’observateurs, ne peut plus être ignoré.
Un activiste devenu média : une mutation structurelle qui change tout
Depuis son exil, Valsero a opéré une transformation profonde. L’artiste engagé est devenu un créateur de contenus à haute fréquence, publiant parfois jusqu’à six vidéos par jour. Cette cadence, rare dans le paysage militant, l’a progressivement installé comme un micro‑média à part entière, avec ses codes, ses réflexes, ses impératifs.
Ce repositionnement n’a rien d’illégitime. Les plateformes numériques offrent un espace d’expression que les régimes autoritaires ne permettent pas. Elles donnent aux voix dissidentes une visibilité mondiale. Elles permettent de contourner la censure, de mobiliser, d’informer.
Mais elles imposent aussi leurs propres règles — et ces règles ne sont pas politiques. Elles sont algorithmiques et donc profondément étrangères à la logique militante.
Les plateformes favorisent la réactivité, pas la profondeur. Elles poussent l’émotion, pas la nuance. Et surtout, elles amplifient le conflit, jamais la cohérence.
Dans ce contexte, l’activisme de Valsero s’est progressivement transformé en flux continu de réactions, de prises de position éclatées, de commentaires à chaud. Une évolution compréhensible, mais qui a un coût : la perte d’un axe éditorial clair, d’une colonne vertébrale idéologique.
Quand la quête de visibilité déforme le message initial
Les plateformes numériques ont une logique simple : ce qui choque circule, ce qui divise engage, ce qui scandalise performe.
Dans cet environnement, la tentation du sensationnel est permanente.
Et Valsero n’y a pas échappé.
Au fil des mois, ses contenus ont glissé d’un activisme structuré vers une logique de clash, d’attaques personnelles, de révélations privées.
Or, s’attaquer à la vie intime de citoyens — quels qu’ils soient — n’a rien d’un combat politique.
C’est un choix éditorial dicté par l’économie de l’attention, pas par une stratégie de transformation sociale.
Ce glissement n’est pas propre à Valsero.
Il touche de nombreux activistes devenus créateurs de contenu.
Mais dans son cas, il est d’autant plus visible que son image publique reposait sur une cohérence morale forte, presque intransigeante.
Le contraste est donc brutal.
Et il interroge.
La proximité avec Maurice Kamto : un capital symbolique fragilisé
Pendant des années, Valsero a revendiqué une proximité assumée avec Maurice Kamto, allant jusqu’à le qualifier de “Boss”.
Cette proximité lui a offert un capital symbolique majeur.
Elle lui a donné une légitimité auprès d’une diaspora politisée.
Et elle a consolidé son statut de figure de résistance.
Mais cette proximité n’est pas un accessoire.
Elle implique une cohérence.
Elle suppose une ligne éditoriale alignée avec un combat politique précis.
Or, certaines prises de position récentes — notamment un soutien inattendu à Issa Tchiroma, figure historiquement associée au régime Biya — ont créé un malaise profond.
Non, parce que Valsero n’aurait pas le droit de changer d’avis.
Mais parce que ce type de positionnement contredit frontalement l’axe politique qu’il revendiquait jusque‑là.
Pour un public habitué à une cohérence idéologique, ce virage est difficile à comprendre.
Et il devient embarrassant lorsque Valsero continue d’utiliser sa proximité symbolique avec Kamto tout en adoptant des positions qui brouillent les lignes.
Le dilemme de l’activiste devenu influenceur : une tension impossible à ignorer
Ce que vit Valsero n’est pas un cas isolé.
C’est un dilemme structurel :
Comment rester cohérent quand la visibilité devient une ressource économique ?
Car il faut le dire sans détour : la monétisation des plateformes a changé la donne.
Les contenus courts, les interactions massives, les polémiques virales sont devenus des leviers de revenus.
Et lorsqu’un créateur dépend de ces revenus, la pression est réelle, quotidienne, presque mécanique.
Dans un environnement médiatique dominé par la vitesse et la simplification, la cohérence politique se transforme en contrainte. Elle resserre le périmètre des sujets possibles, impose une rigueur presque militante et oblige à refuser les chemins rapides qui séduisent l’algorithme mais trahissent la ligne.
Ce qui devrait être une force — une position claire, assumée — devient alors un handicap dans un système qui récompense l’ambiguïté, la provocation et le spectaculaire. La cohérence, ici, n’est plus un socle : elle devient un poids, un rappel constant que chaque mot engage, que chaque choix raconte une fidélité à un combat.
La visibilité, elle, récompense l’imprévu, la contradiction, la provocation.
Valsero se trouve aujourd’hui à la croisée de ces deux logiques.
Et c’est cette tension — entre l’exigence militante et la logique algorithmique — qui explique, en grande partie, la perte de constance que beaucoup observent.
Un appel à la clarté, pas à la conformité
Cette lettre ouverte n’a pas pour objectif de dicter à Valsero ce qu’il doit penser ou dire.
Il est libre.
Il a le droit d’évoluer, de changer, de se repositionner.
Mais la liberté n’exclut pas la responsabilité.
Et lorsqu’on occupe une place centrale dans un combat public, la cohérence n’est pas un luxe : c’est une exigence.
Si Valsero a changé de ligne éditoriale, qu’il l’assume.
S’il n’est plus aligné avec le combat de Kamto, qu’il le dise.
S’il privilégie désormais la visibilité au militantisme, qu’il le reconnaisse.
Ce qui fatigue, ce n’est pas le changement.
C’est l’ambiguïté.
Retrouver un cap dans un paysage saturé
Valsero reste une voix importante.
Une voix qui a compté, qui compte encore et qui peut continuer de compter.
Mais une voix forte n’est pas celle qui crie le plus.
C’est celle qui garde un axe, même quand le vent souffle dans une autre direction.
Cette lettre ouverte est une invitation.
À plus de cohérence.
À davantage de clarté.
Et à une véritable responsabilité.
Parce que dans un paysage politique saturé de bruit, les voix qui tiennent debout sont celles qui savent où elles vont.















