Le temple culturel de Washington vacille. Le Kennedy Center, bastion de la création depuis 1971, change de visage. La musique cède la place aux slogans. Les artistes disparaissent, remplacés par des idéologues. Le pluralisme s’efface, une ligne politique s’impose. Les conférences s’enchaînent, les figures de l’extrême droite s’installent. Et dans chaque discours, dans chaque prière, un nom revient comme une litanie : Donald Trump.
Ce glissement n’est pas anodin. Il marque une prise de pouvoir symbolique sur l’un des lieux les plus emblématiques de la vie culturelle américaine. Le spectacle a changé. Et avec lui, le sens même de ce que l’on célèbre.
« Que Dieu le bénisse. » Les paumes tournées vers le ciel, des dizaines de personnes en tailleur et costume-cravate louent le président américain.
Thème du jour : la persécution des chrétiens. La CPAC organise un sommet. L’objectif ? Mobiliser. L’angle ? Politique. Les invités ? De la droite modérée à l’extrême. Le ton ? Combatif. Et derrière l’événement, une stratégie : rallier les croyants à la cause trumpienne.
– Repli patriotique et boycott culturel –
Du jamais vu au Kennedy Center. Depuis 1971, ce lieu blanc imposant offrait une culture variée. Sans parti pris. Aujourd’hui, la neutralité vacille. La programmation change. Le ton aussi.
C’était avant février, quand Donald Trump a pris les rênes de l’institution.
Le président a tranché. Il a écarté plusieurs membres du conseil d’administration. À leur place, ses fidèles. D’abord Usha Vance, épouse du vice-président. Puis Susie Wiles, cheffe de cabinet. Le message est clair : le contrôle passe par les proches.
Son mot d’ordre est clair. Stopper la propagande antiaméricaine. Éliminer la culture woke. Ramener le patriotisme. Restaurer la grandeur. La culture devient un champ de bataille.
Exit, donc, les spectacles célébrant la diversité. Supprimés, les populaires drag shows du Kennedy Center et les événements liés au mois des fiertés.
En signe de protestation, des dizaines de spectacles et artistes ont annulé leur venue, la célèbre comédie musicale « Hamilton » en tête. Son producteur Jeffrey Seller regrette « des décennies de neutralité (…) réduites en miettes » par cette « purge du personnel ».
Et la vente de billets s’est écroulée, a révélé vendredi le Washington Post. Depuis septembre, 57% des billets disponibles pour les trois principales salles de spectacle ont été écoulés, contre 93% à l’automne 2024.
– Peau neuve –
Sur scène, le décor est clair : drapeau américain, aigle dorée. Jennifer Korn prend la parole. Membre du gouvernement Trump, elle ouvre les conférences. Son discours ? Un hommage appuyé au président.
Elle applaudit la décision. Selon elle, le président agit « avec la bonté de son cœur ». Il crée un Bureau des affaires religieuses. Elle en fait partie. La Maison Blanche s’empare du religieux.
Puis elle reprend la rhétorique présidentielle: des écoles « forcent les élèves à lire des livres sur les transgenres », et les « biais antichrétiens » ne cessent de se multiplier.
Ces propos simplificateurs qui trouvent écho chez les trumpistes résonnent maintenant dans l’enceinte d’une institution qui s’était jusque-là évertuée à laisser les discours partisans hors de ses murs.
Donald Trump transforme l’institution culturelle en « une organisation artistique gouvernementale, comme on peut le voir dans d’autres pays, entièrement alignée sur le gouvernement en place », dénonce Andrew Taylor, professeur d’arts à l’American University.
– Le Kennedy Center sous l’emprise de Trump –
Le nouveau dirigeant du Kennedy Center et proche du président, Richard Grenell, a demandé à ce que l’hymne national soit joué avant chaque concert du National Symphony Orchestra, l’orchestre symphonique du pays, pour célébrer le 250e anniversaire des États-Unis.
Autre nouveauté, annoncée par Donald Trump, amateur de chantiers: le Kennedy Center va faire peau neuve, « notamment au niveau des sièges, de la moquette, des revêtements muraux, des plafonds, des lustres, des scènes, du chauffage et de la climatisation ».
Le milliardaire républicain, qui a démoli une aile de la Maison Blanche pour faire construire une vaste salle de bal, rêve maintenant d’accoler son nom à l’établissement. « Le nouveau Trump Kennedy, oups, je veux dire Kennedy Center« , a-t-il récemment lancé sur son réseau Truth Social.
Ironie? Pas vraiment: une proposition de loi pour rebaptiser le Kennedy Center, du nom du président assassiné en 1963, en Trump Center a été soumise par un élu républicain.
La mesure a très peu de chances d’être acceptée mais la mainmise du milliardaire sur ce symbole de la culture aux États-Unis ne fait plus de doute.
Source: Agence France-Presse
















