Financement libyen de la campagne de Sarkozy : l’un de ses protagonistes-clés s’est éteint. Ziad Takieddine, intermédiaire franco-libanais, est mort mardi matin à Beyrouth. Son décès survient deux jours avant le jugement du tribunal correctionnel de Paris sur les soupçons de financement de la campagne présidentielle de 2007.
L’information du Point a été confirmée à l’AFP par l’avocate française de M. Takieddine, Me Elise Arfi, et par une source au sein de sa famille.
D’après cette dernière, l’intermédiaire de 75 ans « était détenu à la prison de Tripoli (nord du Liban) depuis un mois sur la base d’une action en justice intentée par son avocat (libanais) qui affirmait qu’il ne l’avait pas payé », et est décédé à l’hôpital après une crise cardiaque.
Dès mai 2012, Ziad Takieddine passe aux aveux. Face à la presse, il affirme que le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy est « la vérité ». Selon lui, Mouammar Kadhafi et ses lieutenants ont bien soutenu l’ex-chef de l’État. L’accusation, déjà évoquée en 2011, prend alors une nouvelle ampleur. Le scandale s’installe. La justice s’en empare.
Nicolas Sarkozy avait en retour constamment vilipendé celui qu’il qualifiait de « grand manipulateur », connu pour ses déclarations fluctuantes.
– Révélations, condamnations, fuite : la chute d’un intermédiaire-clé –
En 2016, Takieddine provoque un séisme médiatique. Dans un entretien à Mediapart, il s’auto-incrimine. Il affirme avoir convoyé cinq millions d’euros entre Tripoli et Paris. Trois voyages, entre novembre 2006 et début 2007. Selon lui, l’argent est remis en deux fois : à Claude Guéant, alors directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, et à l’ancien président lui-même. L’accusation est directe, explosive, et relance l’affaire du financement libyen.
Ces derniers avaient farouchement démenti.
Ziad Takieddine avait été mis en examen dans cette enquête sensible.
Personnage volubile, haut en couleurs, Ziad Takieddine brouille souvent les pistes. Ses explications varient, parfois jusqu’à la confusion. En parallèle, il accumule les ennuis judiciaires. Plusieurs dossiers plus anciens le rattrapent. Son nom revient dans des affaires politico-financières sensibles.
Début 2025, la cour d’appel de Paris confirme sa condamnation. Ziad Takieddine écope de cinq ans de prison ferme. Cette peine concerne le volet financier de l’affaire Karachi. Ce dossier complexe révèle un système de commissions occultes. À l’origine : des contrats d’armement français conclus avec l’Arabie saoudite et le Pakistan, au mitan des années 1990.
Mi-2020, Ziad Takieddine quitte la France. Quelques jours avant sa condamnation en première instance, il se réfugie au Liban. Ce départ précipité lui permet d’échapper à la justice française. En fuite, il devient la cible d’un mandat d’arrêt dans le dossier libyen.
La justice française avait lancé un mandat d’arrêt contre Ziad Takieddine, alors en fuite dans le cadre du dossier libyen. Son décès bouleverse la procédure. Le tribunal correctionnel de Paris, attendu jeudi pour rendre son jugement, devrait déclarer l’action publique éteinte. L’affaire se referme sur l’un de ses protagonistes clés.
– Volte-face –
Au Liban, Ziad Takieddine avait fait plusieurs séjours en prison, notamment à cause du mandat d’arrêt français.
Le Liban n’extrade pas ses ressortissants. Or, Ziad Takieddine avait fait appel en France. En avril, la justice libanaise décide de le libérer. Elle lui impose une interdiction de quitter le territoire. L’intermédiaire reste donc bloqué au Liban, sous surveillance judiciaire.
Fin 2020, le septuagénaire provoque un dernier séisme médiatique. Il rétracte près de dix ans d’accusations contre Nicolas Sarkozy. Devant BFMTV et Paris Match, il affirme que l’ex-président n’a jamais touché d’argent libyen. Ce revirement surprend. Il brouille les pistes. La justice s’interroge : simple volte-face ou tentative de manipulation ?
Des propos « déformés », corrigeait deux mois plus tard Ziad Takieddine, une volte-face temporaire analysée depuis par la justice comme une possible subornation de témoin, et qui vaut une mise en examen à plusieurs personnalités, dont Nicolas Sarkozy, son épouse Carla Bruni-Sarkozy ou la figure de la presse people, Mimi Marchand. Les trois sont présumés innocents dans ce dossier pas encore jugé.
– De Beyrouth à Isola 2000 : l’ascension d’un intermédiaire influent –
Ziad Takieddine est mort au Liban, son pays natal. Il y était né le 14 juin 1950, au sein d’une grande famille druze. Implantée dans les hautes sphères du pouvoir, cette lignée lui ouvre les portes de l’influence. Ce terreau familial façonne ses premiers réseaux, avant son départ pour Londres.
L’intermédiaire y a d’abord été publicitaire, avant de quitter son pays, déchiré par la guerre civile, pour Londres.
Dans les années 1980, il prend la direction de la station de montagne Isola 2000, dans les Alpes-Maritimes. Peu à peu, il tisse des liens avec plusieurs hauts responsables de droite. Grâce à ce réseau, il s’impose dans les cercles d’influence. Cette ascension marque le début de son rôle dans les affaires politico-financières.
Grâce à ces connaissances et son entregent, il s’immisce dans la négociation de contrats de défense au cœur de l’affaire Karachi. Il mène alors grand train et couvre de cadeaux ses relations politiques.
Puis, son influence décline. D’abord, il traverse un divorce difficile. Ensuite, son rival Alexandre Djouhri gagne du terrain. Issu des réseaux proches de Jacques Chirac, Djouhri s’impose. Enfin, les ennuis judiciaires commencent. L’ascension s’interrompt. La chute s’amorce.
Source : Agence France-Presse