Douala pleure ses morts. Sous un ciel chargé, la cour familiale du 3e arrondissement s’est figée dans le silence. Achille Simo, 45 ans, père de cinq enfants, n’a jamais atteint l’échoppe où il se rendait. Une balle tirée à bout portant l’a stoppé net. Son seul tort : être sorti en pleine tension post-électorale pour nourrir les siens. Depuis, le quartier vit dans la peur. Et dans cette cour endeuillée, c’est tout Douala qui pleure.
Un militaire l’a abattu, en pleine rue, alors que son dos était tourné. Ce geste brutal, survenu en marge des violences post-électorales, incarne la fracture d’un pays où la parole se tait et le sang parle.
Depuis, le quartier vit dans l’ombre du choc. Les pas se font discrets, les regards se détournent. Et pourtant, le souvenir d’Achille s’impose, comme un cri silencieux contre l’impunité.
Elodie Fougué, 39 ans, reste assise, muette. Son mari est mort. Des proches arrivent. Ils saluent, s’inclinent, se taisent. Le silence pèse. La douleur s’installe.
Lundi, le verdict tombe : Paul Biya, 92 ans, est reconduit pour un huitième mandat. Depuis, le Cameroun s’agite. Dans les rues de Douala, Yaoundé et Bafoussam, la colère gronde.
Issa Tchiroma, candidat autoproclamé vainqueur, galvanise les foules. Mais l’espoir se heurte à la répression. Les forces du régime dispersent les cortèges à balles réelles.
Le sang coule. Les cris s’étouffent. Et le pays, une fois encore, s’enfonce dans l’ombre d’un pouvoir qui refuse de céder.
– Achille Simo tué en pleine rue –
Achille Simo a été tué par balles mercredi alors qu’il se rendait dans une échoppe du quartier, selon des témoins.
La scène est brève, brutale. Achille Simo marche vers une échoppe. Un militaire lui intime de quitter la route. Achille, calme, répond : « Faites votre travail, nous ne vous dérangeons pas. »
Mais ce mot de trop, dans un climat de tension extrême, scelle son sort. Le capitaine lève son arme. Tire. À bout portant. Achille tourne le dos. Il s’écroule.
Basile Njeumeni Nana, son voisin, est là. Il raconte, la voix tremblante. Ce n’était pas une émeute. Ce n’était pas une menace. C’était un père de famille, abattu pour avoir parlé.
« Comment peut-on abattre un civil qui ne représentait aucun danger ? Son seul tort a été de sortir pour chercher à manger pour sa famille », interroge le frère cadet de la victime, Christian Fokam. « Il ne manifestait même pas ».
La pluie a lavé les rues, mais pas les traces du drame. Non loin du lieu du tir, des habitants désignent les taches de sang, encore visibles sur la chaussée. C’est là qu’Achille Simo est tombé.
Chaque goutte qui tombe semble incapable d’effacer l’empreinte de la violence. Le sol parle, là où les autorités se taisent. Et dans ce silence, le quartier se souvient.
« Depuis, le quartier vit dans la peur », raconte un voisin. Des militaires en patrouille passent sans un mot.
– Des morts sans nom, une colère sans fin –
Dimanche, le gouverneur du Littoral reconnaît quatre morts à Douala, tombées en marge d’une manifestation organisée la veille de la proclamation des résultats.
Mardi, le gouvernement admet des décès liés aux troubles post-électoraux. Mais aucun chiffre. Aucun lieu. Aucune date. Comme si les vies perdues ne méritaient pas d’être nommées.
Ce silence officiel, dans un contexte de répression sanglante, alimente la colère et creuse le fossé entre le pouvoir et la rue. Chaque omission devient une blessure de plus dans une nation qui vacille.
Il y a « des centaines de morts et de blessés » selon un décompte du candidat Issa Tchiroma Bakary vendredi. Cet ancien ministre passé à l’opposition a créé un engouement inattendu chez les jeunes avides de changement. Il revendique la victoire à l’élection et a appelé à plusieurs reprises les Camerounais à sortir pour défendre sa victoire.
– « Opération ville morte »
À quelques rues de là, dans le quartier Newbell du 2e arrondissement de Douala, une autre maison porte le deuil.
Les portes sont fermées. La famille enterre Mohamed Pouamou. Il avait 22 ans. Chauffeur. Mort dimanche, en marge d’une manifestation. Victime collatérale, disent ses proches.
Devant le portail, un groupe de jeunes discute à voix basse. « Il était assis, regardait un match dans une salle de projection. Une balle venue de nulle part l’a touché en pleine tête », affirme Idriss Fifen, mécanicien de 29 ans, qui dit avoir vu la scène.
Plusieurs villes ont été secouées par des manifestations sporadiques et limitées – quelques centaines de jeunes au maximum depuis l’annonce des résultats de l’élection.
À Douala ou encore à Garoua, fief de Tchiroma dans le nord du Cameroun, des affrontements ont opposé manifestants et forces de sécurité. Des témoins affirment que des tirs ont été effectués à balles réelles dans certains quartiers.
– une ville meurtrie, un peuple mobilisé –
Face à la montée des violences, Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale, rompt le silence. Il reconnaît des « pertes en vie humaine ».
Il déplore des édifices publics incendiés, des commerces pillés, des biens privés saccagés. Ses mots, lourds, peinent à contenir l’ampleur du chaos.
À travers le pays, les flammes ont laissé place à la peur. Et dans ce décor de ruines, la parole officielle sonne comme un constat d’échec.
« Des scènes de pillages et de vandalisme », ont notamment eu lieu à Douala, la capitale économique, a assuré le ministre.
Depuis ces incidents, la ville tente de retrouver un semblant de normalité. Certaines boutiques ont rouvert, mais la tension et la peur restent perceptibles.
Depuis la proclamation des résultats, Issa Tchiroma Bakary vit retranché dans sa maison de Garoua. Vendredi, il brise le silence. Il se dit sous la « protection » d’une faction de l’armée.
Son appel est clair : de lundi à mercredi, le pays doit s’arrêter. « Opérations ville morte », dit-il. Fermeture des commerces, suspension des activités, silence dans les rues. Un geste de défi. Une stratégie de pression. Dans un Cameroun fracturé, chaque jour devient un acte politique.
« Gardons nos commerces fermés, suspendons nos activités, restons chez nous, en silence, pour montrer notre solidarité et rappeler à ce régime que la force d’une économie, c’est son peuple — et ce peuple ne le reconnaît plus comme son leader », a-t-il détaillé.
Dans plusieurs quartiers de Douala, des habitants disent faire des provisions en prévision de ces journées.
L’Union européenne et l’Union africaine ont déploré la violence de la répression du régime. Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a appelé à l’ouverture d’une enquête.
Source: Agence France-Presse
















