Abidjan vitrine du pouvoir Ouattara : entre béton, croissance et fractures. Quatorze ans après une crise politico-militaire qui a plongé la Côte d’Ivoire dans le chaos, Alassane Ouattara s’impose comme bâtisseur. Le président, économiste de formation, mise sur les infrastructures pour redonner souffle à la capitale économique. Ponts, échangeurs, périphériques, stades : Abidjan se métamorphose. Pour certains, c’est un miracle. Pour d’autres, une vitrine. Car derrière le béton, les fractures demeurent. Et dans cette présidentielle, les routes deviennent récit, les ouvrages deviennent preuve. Le pouvoir construit — mais la nation, elle, attend encore réparation.
« Des ponts, des échangeurs, des routes comme ça ? On n’y croyait pas !» Moustapha, guide touristique, sillonne Abidjan. Il montre, il commente, il s’émerveille. La ville a changé. Et les Ivoiriens le disent haut et fort.
Moustapha, guide touristique, a fait son choix. Il votera pour Alassane Ouattara, qu’il appelle encore « ADO ». Pas par fidélité politique, mais par reconnaissance concrète. Car Abidjan, la mégapole francophone d’Afrique de l’Ouest, ne ressemble plus à celle de 2000.
Sept millions d’habitants, des ponts flambant neufs, des échangeurs, des routes dignes des capitales mondiales. Pour lui, cette métamorphose est une preuve. Et dans une ville qui s’étire, se densifie, se modernise, le vote devient un geste de validation — pas d’adhésion.
Trois ponts. Imposants, flamants neufs. Ils surplombent la lagune Ébrié. Et des échangeurs, en série. La métamorphose est visible. Le béton parle.
– « China Mall » –
Août 2023. Le pont à haubans est inauguré. Il relie Cocody au Plateau. Quartier riche, centre des affaires. L’ouvrage devient carte postale. Et Moustapha sourit : « Une attraction magnifique. ».
En arrière-plan, la Tour F s’impose. Gratte-ciel futuriste. Forme de masque africain. Plus de 400 mètres de haut. Les vitres sans teint sont presque posées. Et le symbole prend forme.
Abidjan change de rythme. Avec une croissance économique soutenue — plus de 6 % par an depuis 2012 — la ville voit émerger une classe moyenne avide de consommation. Les centres commerciaux se multiplient, redessinant les usages et les paysages.
Onze hypermarchés, cinquante-neuf supermarchés en quatorze ans : le chiffre parle. Et au cœur de cette expansion, les enseignes chinoises s’imposent. China Mall, Foire de Chine : la vitrine commerciale devient aussi vitrine diplomatique.
La transformation urbaine épouse les flux économiques. Et dans cette métamorphose, la Chine ne se contente plus d’investir — elle s’installe.
Le parc automobile a changé. Des voitures de luxe partout. Moustapha s’amuse : « Même en Europe, on ne voit pas ça !» Il conduit sa Suzuki, pot de yaourt. Et Abidjan roule vers l’excès.
– La métamorphose d’Abidjan –
Le paysage automobile ivoirien a changé de visage. Finies les Peugeot fatiguées, les Renault bringuebalantes — les fameuses « France au revoir ». Une loi encadrant les importations a balayé ces reliques européennes.
À leur place, des citadines japonaises, compactes, neuves, omniprésentes. Le parc automobile s’est assaini, modernisé, uniformisé. Et dans cette métamorphose, la route devient le reflet d’une politique : celle du contrôle, du tri, de la vitrine. Abidjan ne roule plus sur les souvenirs — elle avance sur du neuf.
La ville s’étend désormais de façon ininterrompue bien plus loin vers l’est, jusqu’à Bingerville, première capitale de la colonie française.
À bord de son véhicule, Moustapha emprunte la Y4, ce périphérique en chantier qui ceinture Abidjan. Il regarde, commente, s’étonne : « La ville a mangé la brousse.» Et il n’exagère pas. Le béton s’étend, les échangeurs surgissent, les quartiers périphériques se fondent dans l’expansion.
Ce n’est plus une ville — c’est une poussée. Une métropole qui déborde, qui absorbe, qui redéfinit ses frontières. Et dans cette avancée, la brousse devient souvenir, la périphérie devient centre.
Elle passe notamment aux abords du grand stade d’Ebimpé (60 000 places), construit pour la CAN 2024, compétition réussie qui a servi de catalyseur à la transformation de la capitale économique.
277 km de routes. 413 km de voiries. Vingt ouvrages. Le tout, entre 2011 et 2025. Le gouvernement aligne les chiffres. Et fait du béton son argument.
– « Pinky Club » –
Si ce bilan fait l’unanimité, nombreux sont ceux qui déplorent le coût de la vie qu’ils associent à ce développement: « on ne mange pas goudron », entend-on souvent. « Tout est devenu très cher », reconnaît Moustapha.
La location mensuelle d’un studio à Abidjan peut rapidement atteindre le niveau du salaire minimum, légèrement au-dessus de 100 euros.
L’opposition dénonce. La croissance ne profite pas à tous. Les infrastructures brillent, mais ne nourrissent pas. La pauvreté persiste. La réconciliation est absente. Et le béton ne suffit plus.
Derrière ces réalisations, « les inégalités sociales ont persisté. Le chômage des jeunes reste élevé, et les retombées de la croissance n’ont pas toujours atteint les couches les plus vulnérables », pointe la presse locale.
Et dans les quartiers populaires, les plus peuplés, une grande partie des Abidjanais vit encore dans la précarité, les pieds dans la poussière et sous des maisons de tôles, loin des villas fastueuses de « Beverly Hills » de Cocody occupées par les ministres et les stars du football.
À l’ouest, l’immense et populaire Yopougon, l’âme festive d’Abidjan, ancien fief des « patriotes » du président déchu Laurent Gbagbo, continue de grouiller telle une fourmilière mais semble aujourd’hui presque rangé.
La célébrissime « rue Princesse », haut-lieu du « coupé-décalé », de la « zougloumania » et de la prostitution, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Boulangeries, banals commerces et quincailleries de camelotes bas prix ont remplacé « maquis » (restos) et discothèques, rasés par la municipalité, dont il ne reste que quelques malheureux survivants aux devantures fatiguées, tels le « Full options » ou le « Pinky Club ».
– « Malaise social » –
Dans le sud d’Abidjan, les quartiers expatriés et libanais de Marcory/Zone4 sont écrasés par des immeubles flambant neufs, pâle copie de Dubaï en forme de « Luxury apartments ».
Engins de chantier et ouvriers s’activent pour la construction du futur « métro » d’Abidjan, un train urbain dont les rails sont déjà installés. Promise initialement pour fin 2025, cette ligne unique traversera l’agglomération du nord au sud, sur 18 stations, avec 530 000 passagers quotidiens espérés.
Le métro, la CAN 2024, comme la volonté affichée d’en finir avec les zones « insalubres » et le « désordre urbain » ont justifié la mise en œuvre d’une politique de « déguerpissement » – expulsions forcées – dont la brutalité a été parfois décriée, et qui a affecté au moins 20 000 ménages, dont seule une partie a été relogée ou dédommagée.
« En 2011, le président Ouattara prend ce pays dans un état totalement délabré (…) », a souligné samedi soir à la télé nationale l’ancien Premier ministre Patrick Achi, mettant en avant l’ambition maintenue pour le prochain quinquennat « de renforcer les infrastructures ».
« Ce sont des avancées notables, un gros effort a été fait », commente à l’AFP le député indépendant Antoine Assalé, dont la candidature à la présidentielle a échoué faute de parrainage. « Mais cela ne règle pas les problèmes de la population (…) En réalité, les infrastructures cachent le malaise social. »
« Quelle société avons-nous bâtie pendant quinze ans, quelle est la répartition des richesses aujourd’hui ? Il y a de très grandes frustrations dans ce pays », met en garde le parlementaire.
Source: Agence France-Presse
















