À la lisière du désert, devant le poste frontalier de Fassala, le sable trace une frontière muette entre le Mali et la Mauritanie. Dans ce décor figé, marqué par l’attente et la chaleur, Léré vit sous étau jihadiste. Le blocus impose son rythme : lent, oppressant, implacable. Chaque souffle, chaque regard vers l’horizon, porte le poids d’un exode devenu impossible.
Quelques dizaines de silhouettes, assises à même le sol, s’abritent sous l’ombre maigre d’un mur ocre.
Leurs regards scrutent l’horizon, incertains. Le désert, vaste et muet, devient le théâtre d’une attente lourde, presque sacrée.
Chaque souffle, chaque mouvement, chaque silence porte en lui la tension d’un passage espéré, redouté. Ici, la frontière n’est pas qu’un tracé géographique : elle incarne l’espoir, la fuite, le recommencement.
Et dans cette immobilité brûlante, le mur ocre devient un rempart symbolique entre ce qui fut et ce qui pourrait être.
Ils fuient le blocus imposé sur leur ville de Léré par les jihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), affilié à Al-Qaïda, qui resserre l’étau sur le régime militaire malien, de plus en plus fragilisé.
À cette heure de l’après-midi, le soleil est brûlant. Fatima, une mère touarègue vêtue d’une tunique aux couleurs vives, serre contre elle sa dernière-née.
Dans ses bras, l’enfant observe ce paysage inconnu de ses grands yeux noirs avant d’éclater en sanglots. Fatima reste indifférente. Elle attend que l’enfant se calme.
Bientôt, son nom sera appelé. Elle se lèvera. Elle avancera vers l’agent. Son statut changera : réfugiée, sur le sol mauritanien. Au revoir, le Mali. Au revoir, la guerre.
– « Plus rien à manger » –
« On nous a dit qu’il fallait quitter la ville. Il n’y avait plus rien à manger. Alors nous sommes partis », dit-elle d’un ton calme, les yeux perdus vers un horizon introuvable.
La situation était intenable. Depuis deux semaines, le JNIM a imposé un blocus de la localité de Léré, dans le centre du Mali, à un peu plus de soixante kilomètres de là.
Ils seraient déjà entre 2 000 et 3 000 à avoir franchi la frontière mauritanienne pour se mettre à l’abri, selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.
« Il s’agit du plus important afflux de réfugiés maliens depuis fin 2023 », explique Norik Soubrier, expert terrain pour la branche humanitaire de l’Union européenne.
Les autorités ont déclenché un plan de contingence. Elles ont fixé des priorités claires : fournir de l’eau, distribuer de la nourriture, installer des abris et assurer les soins de santé.
Sur tout le territoire malien, les blocus jihadistes se multiplient depuis septembre. Cette stratégie d’étranglement de l’économie se fait sentir jusqu’à la capitale Bamako qui fait face à une pénurie de carburant.
Près de la zone d’enregistrement, une femme amène un bidon d’eau. Quelques hommes remplissent des cruches métalliques et portent à leurs lèvres le liquide précieux. Un baume pour leur gorge sèche.
Le soleil brûle les peaux. La poussière colle aux corps. Ils sont épuisés. Ils ont marché pendant des jours. Chaque pas pèse. Chaque souffle coûte.
Beaucoup se sont déplacés avec toute leur famille. Certains ont apporté leurs maigres ressources: un âne, quelques chèvres, un cheval.
La plupart de ces hommes sont bergers. Ils ont laissé derrière eux une partie de leur bétail.
À l’ombre d’un acacia, un groupe d’hommes discute. L’un d’entre eux tient dans sa main un téléphone portable. Le réseau est mauvais et les nouvelles ne sont pas bonnes.
– « 24h pour partir » –
« Les jihadistes nous ont fixé un ultimatum de 24 heures pour partir. Nous avons quitté parce que nous avons eu peur. Hier, ils ont assassiné ceux qui étaient restés », raconte un homme sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité.
« Ils les suspectent d’être de mèche avec l’armée malienne, raison pour laquelle il y a eu ces représailles », précise l’un de ses voisins, vêtu d’un boubou vert et de son turban traditionnel.
Lundi, des hommes armés ont attaqué Léré. Ils ont tué douze personnes. Le bilan est lourd. La ville est sous le choc.
Deux bergers ont disparu, quatre jours plus tôt. Des hommes armés les ont enlevés. On les a retrouvés morts. Des sources locales et militaires confirment.
« Ce n’était pas une attaque aveugle », affirme un chef communautaire, arrivé récemment. « Ils disposaient de listes, connaissaient leurs cibles et poursuivaient des individus bien identifiés », ajoute-t-il.
Il raconte le blocus comme on évoque une strangulation lente. La ville, déjà éprouvée fin 2024, subit aujourd’hui une pression plus brutale, plus sourde. Ce n’est plus un simple isolement : c’est une asphyxie organisée.
– Léré, ville assiégée –
Les routes sont coupées, les vivres rares, les soins incertains. Chaque jour qui passe creuse un peu plus le gouffre entre l’intérieur et le monde. Le blocus devient un mur invisible, une frontière de souffrance. Et dans ce silence imposé, la ville résiste, mais vacille.
« Lorsque les forces armées maliennes (Fama) sortent, elles peuvent circuler sans problème. Il n’y a pas de combat. Mais dès qu’elles retournent dans la caserne, le JNIM les remplace et les populations sont prises au piège ».
« Une fois que le blocus est imposé, les denrées se font rares. Les prix explosent », explique-t-il.
« Et même pour fuir, désormais, c’est impossible. Ils ont donné un temps aux gens pour sortir. Maintenant c’est fini ».
Les jihadistes tiennent aussi la route la plus directe vers la Mauritanie et ont imposé aux habitants de deux autres villages de partir.
Selon lui, cette situation « est une punition pour les populations qui sont fidèles aux Fama ».
« À Léré, tu es obligé de répondre aux ordres des Fama, même si tu es le premier fidèle du JNIM. La population, dit-il, est comme un chiffon qu’on se dispute: elle passe de main en main selon celui qui la domine ».
Source: Agence France-Presse















