pixel

Radiographie d’un média en construction : enquête sur l’ascension fragile de Nbiko TV

Date:

Pages jaunes
Trans Afrique

Radiographie d’un média en construction : dans un paysage médiatique africain bouleversé par les réseaux sociaux et l’essor des récits identitaires, de nouveaux projets émergent avec éclat, portés par une ambition assumée et une esthétique parfaitement maîtrisée. Parmi eux, Nbiko TV s’est imposé ces derniers mois comme un nom qui circule, un logo qui s’affiche, un slogan qui se répète — signe d’une présence visible, mais encore en quête de véritable incarnation.

Sa présence remarquée autour de la Coupe d’Afrique des Nations 2025 a attiré l’attention : influenceurs mobilisés, contenus quotidiens, visibilité sur le terrain, discours panafricain assumé.

Mais derrière cette façade dynamique, une question persiste : qu’est réellement Nbiko TV ?
Et surtout : comment expliquer le décalage entre l’ampleur de sa communication et la faiblesse de son audience réelle ?

Cette enquête propose une analyse approfondie de ce canal de communication émergent, de ses ambitions, de ses contradictions et des erreurs stratégiques qui freinent aujourd’hui son développement.

1. Un média qui emprunte les codes de la télévision sans en avoir la structure

Le nom “Nbiko TV” intrigue. Dans l’imaginaire collectif africain, le suffixe “TV” renvoie à une chaîne structurée, dotée d’une rédaction, d’une ligne éditoriale, d’une grille de programmes et d’une présence régulière. C’est un marqueur de sérieux, un symbole de professionnalisme. Pourtant, Nbiko TV n’est pas une télévision.

  • Aucune diffusion linéaire.
  • Aucun programme récurrent.
  • Aucune infrastructure de production visible.

Le projet existe exclusivement sur les réseaux sociaux : TikTok, Facebook, Instagram, YouTube. Le “TV” est ici un outil de branding, un moyen de se positionner immédiatement comme un média établi, alors que la structure réelle est celle d’un studio de contenus digitaux encore en construction.

Cette stratégie n’est pas nouvelle. Dans l’écosystème digital africain, plusieurs créateurs adoptent les codes de la télévision pour accélérer la perception de crédibilité. Mais cette stratégie comporte un risque majeur : créer une promesse éditoriale que le contenu ne parvient pas à tenir. Et dans un environnement où l’authenticité est devenue une valeur centrale, cet écart peut rapidement fragiliser la marque.

2. Une présence massive à la CAN 2025 : un coup d’éclat qui interroge

  • Quand la mise en scène dépasse le message 

La CAN 2025 devait être l’instant fondateur, le moment où Nbiko TV sortirait de l’ombre pour s’imposer comme un acteur incontournable du paysage médiatique africain. Le média a alors déployé une stratégie spectaculaire, presque théâtrale : présence continue sur le terrain, vidéos quotidiennes, collaborations en cascade avec des influenceurs venus de tout le continent, immersion dans les fan zones, interviews improvisées, slogans identitaires scandés comme des mantras. Partout, la même mise en scène : une “fierté africaine” brandie comme étendard, répétée jusqu’à devenir un décor.

  • Le grand écart entre promesse et impact

Tout semblait réuni pour créer un choc, un basculement, une naissance médiatique. Mais un détail fissure le récit : l’audience ne suit pas.

Les chiffres parlent avec une froideur implacable. 50,6 k abonnés sur TikTok. 39K sur Facebook. 2,7K sur Instagram. Quelques centaines sur YouTube.

Pour un média qui prétend incarner la voix de la jeunesse africaine, ces résultats sonnent comme un décalage profond entre l’ambition affichée et la réalité du terrain numérique.

Plus inquiétant encore : l’engagement est quasi absent. Les vidéos défilent, mais les conversations ne naissent pas. Les partages restent rares. Les commentaires s’essoufflent.

Les contenus glissent sur les réseaux comme de l’eau sur une surface lisse, sans jamais pénétrer, sans jamais fédérer. La communauté, pourtant au cœur de toute stratégie digitale, ne se forme pas.

  • La question que Nbiko TV ne peut plus éviter

Alors la question s’impose, presque brutalement : pourquoi un tel déploiement de moyens pour un impact aussi faible ? Et derrière cette interrogation, une autre, plus profonde, plus stratégique : quel modèle économique, quelle vision, quelle finalité justifient une communication aussi massive, mais aussi peu performante ?

Ce contraste — entre la mise en scène flamboyante et l’écho timide — révèle peut-être la faille centrale du projet : une marque qui veut incarner un symbole avant d’avoir construit une audience. Une voix qui se proclame avant d’être écoutée. Une ambition qui brûle plus fort que sa propre base.

3. Un modèle économique opaque : entre mécénat, influence et pari sur l’avenir

L’analyse des contenus, des partenariats et de la structure du projet laisse entrevoir trois pistes principales.

A. Le financement externe

Derrière l’élan médiatique de Nbiko TV, une réalité plus discrète se dessine : le média semble porté par un soutien financier conséquent. Les sources possibles se devinent en filigrane.

Des investisseurs privés sont attirés par la promesse d’un marché africain en pleine expansion. À cela s’ajoutent des entrepreneurs de la diaspora, désireux de réinjecter du capital dans un projet qui parle à leur identité.

S’y ajoutent aussi des mécènes sensibles au récit panafricain, prêts à financer une vision plus qu’un produit.

Ou encore des partenaires institutionnels cherchant à façonner une image moderne, dynamique, unifiée du continent.

Ce type de financement offre une liberté rare : celle de bâtir un projet ambitieux sans attendre les premiers revenus. Mais cette liberté a un prix. Elle installe une tension silencieuse, presque palpable.

Car tout investissement appelle une justification. Et dans l’univers numérique, cette justification se mesure en courbes de croissance, en abonnés, en engagement, en visibilité.

Ainsi, derrière l’apparente aisance de Nbiko TV, se cache peut-être une urgence : prouver que la promesse peut devenir une réalité.

Montrer que le symbole peut se transformer en audience. Convaincre que l’argent injecté n’alimente pas seulement une vision, mais un véritable mouvement.

B. Le modèle “agence d’influence”

Plus qu’un média, Nbiko TV fonctionne comme une plateforme d’influence. Le projet commercialise des campagnes sponsorisées, des activations événementielles et des collaborations avec influenceurs.

Dans ce modèle, l’audience n’est pas centrale. Ce qui compte, c’est la visibilité lors des événements et la capacité à activer un réseau d’influenceurs. L’impact se mesure moins en abonnés qu’en présence, en bruit, en occupation du terrain.

C. Le pari sur la croissance future

Pour Nbiko TV, la CAN est un tremplin. L’objectif est clair : créer un effet de marque assez puissant pour attirer ensuite des sponsors, des partenaires et des audiences.

Mais ce pari repose sur un point crucial : produire un contenu capable de retenir l’attention. Et c’est là que les difficultés apparaissent. Le message ne s’impose pas. La narration ne tient pas. L’impact reste faible.

4. Les erreurs de communication : un diagnostic sévère

Malgré son ambition, Nbiko TV accumule des erreurs stratégiques qui affaiblissent son positionnement.

Ces erreurs ne sont pas anecdotiques : elles révèlent une incompréhension profonde des dynamiques des réseaux sociaux et de la construction d’un média digital.

Erreur 1 : Construire la visibilité avant l’identité

Nbiko TV a voulu être vu avant d’être compris. Le média a misé sur les influenceurs, les événements, les slogans et les apparitions publiques.

En revanche, il n’a pas construit de ligne éditoriale, pas de ton identifiable, pas de proposition de valeur claire.

Résultat : un média bruyant, omniprésent, mais sans voix propre. Une présence forte, mais une identité faible.

Erreur 2 : Confondre influence et influenceurs

Engager des influenceurs ne crée pas de l’influence. Cela génère du volume, pas du sens.

Sans cohérence éditoriale, ces créateurs deviennent des satellites dispersés. Chacun parle dans son style, sans renforcer la marque. Le message se fragmente. L’impact se dilue.

Erreur 3 : Une communication trop institutionnelle pour les réseaux sociaux

Le ton de Nbiko TV reste très corporate. Distant. Déclaratif. Or TikTok et Instagram exigent l’inverse : authenticité, rythme, proximité.

Résultat : le média publie comme une chaîne télé égarée sur les réseaux sociaux. Le format est lourd, le ton figé, la relation absente. Le décalage saute aux yeux.

Erreur 4 : Surinvestir dans l’événementiel sans construire le quotidien

La présence de Nbiko TV à la CAN ne suffit pas à bâtir une identité médiatique. Un média ne se construit pas dans l’exceptionnel, mais dans la répétition. Dans la régularité.

Dans ces formats qui reviennent, qui rassurent, qui créent un rendez-vous.
Or Nbiko TV ne propose ni formats récurrents ni rendez-vous éditoriaux ni séries de contenus capables de structurer une relation durable avec son audience.
Sans continuité, il n’y a pas de fidélité. Sans rituel, il n’y a pas de communauté.

Erreur 5 : Une proposition de valeur floue

Le média évoque tour à tour la fierté africaine, le sport, le lifestyle, la culture. Mais cette dispersion brouille le message. Elle dilue l’identité. Elle empêche la marque de se distinguer dans un paysage déjà saturé.

Un média sans angle est un média sans contour.Parler de tout, c’est finalement ne rien dire. Apparaître ne suffit pas à s’imprimer. Exister ne garantit pas de s’incarner.

Erreur 6 : Un branding qui dépasse la réalité

Le nom “TV” crée une promesse que Nbiko ne tient pas. Le contenu ne suit pas l’ambition annoncée.
Ce décalage affaiblit la crédibilité du média et brouille la perception de sa véritable nature.

Erreur 7 : Une absence de stratégie d’engagement

Les contenus de Nbiko TV ne créent pas de conversation. Ils ne déclenchent ni émotion ni débat ni identification.

Le public regarde, puis passe à autre chose. Rien ne subsiste. Le flux ne se propage pas. Le public ne s’approprie pas le message.Un média qui ne suscite aucune réaction devient un simple flux parmi d’autres.

Erreur 8 : Une croissance artificielle

Tout repose sur l’argent, les influenceurs et l’événementiel. Rien sur la communauté, la narration ou la valeur ajoutée.

C’est une croissance sans racines. Une expansion qui impressionne de loin, mais qui ne tient sur rien. Dès que l’événement s’arrête, tout retombe.

5. La CAN comme révélateur : un miroir impitoyable

La CAN 2025 a renforcé la visibilité de Nbiko TV, mais elle a aussi révélé ses faiblesses. En s’exposant autant, le média a mis en lumière son manque de maturité, de structure, de vision éditoriale et de cohérence.

L’événement a agi comme une loupe : ce qui restait discret est devenu évident. Les défauts, jusque‑là noyés dans le flux, sont apparus au grand jour.

6. Conclusion : un potentiel réel, mais une stratégie à reconstruire

Nbiko TV n’est pas un projet sans intérêt. Son ambition panafricaine, son énergie et sa volonté de créer un espace médiatique jeune et identitaire sont de vraies forces.

Le continent a besoin de nouveaux récits et de nouvelles voix. Nbiko TV pourrait en faire partie — mais pas dans sa forme actuelle.

Pour devenir crédible, le média devra clarifier sa ligne éditoriale, construire une identité narrative forte, développer des formats récurrents, privilégier la qualité à la quantité, bâtir une communauté avant de chercher des sponsors, aligner sa promesse (“TV”) avec sa réalité, maîtriser les codes des réseaux sociaux et investir dans le contenu plutôt que dans la seule visibilité.

La CAN 2025 a servi de test. Reste à voir si Nbiko TV saura transformer cette exposition en fondations solides, ou si le projet restera un feu de paille médiatique, brillant mais éphémère.

- Pub -
Pages jaunes

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Partager :

spot_imgspot_img

Populaires

Dans la même catégorie
Associé

Gestion du parcours Vita : La presse dénonce la manipulation

Selon le Cercle d’éthique et de promotion des journalistes...

Université de Douala : Félicité Fossi décroche son doctorat

Félicité Fossi Toukam est désormais docteure en sciences de...

Téléphonie mobile : Orange capte 50 % et détrône Mtn

Avec l’envolée des revenus Internet, Orange repasse en tête...

Équinoxe TV : Le journaliste Serge Alain Otou convoqué au CNC

Le Conseil national de la communication a convoqué le...