La bascule malgache. Mercredi, le chef militaire ayant pris le pouvoir mardi a annoncé son investiture comme président vendredi. Ce coup d’accélérateur suit la destitution d’Andry Rajoelina, contestée depuis vingt jours dans la rue.
Dans un pays miné par la pauvreté et la corruption, le pouvoir change de visage — mais pas de mains.Vendredi, le colonel Michael Randrianirina sera officiellement investi. Déjà aux commandes depuis mardi, il prêtera serment comme « Président de la Refondation de la République de Madagascar ». La transition militaire s’ancre dans les institutions.
L’annonce, solennelle et signée de sa main, a été relayée par la télévision publique, scellant une transition qui se veut fondatrice mais qui s’inscrit dans une longue tradition de ruptures brutales. Sous les apparences d’un renouveau, c’est l’armée qui redessine les contours de l’État.
Le verbe se veut salvateur, mais l’acte reste martial. Face aux accusations de putsch, le colonel Michael Randrianirina se défend : « Ce n’était pas un coup d’État, mais une prise de responsabilité. » À ses yeux, Madagascar vacillait au bord du gouffre.
Pour redresser la République, il annonce la création d’un comité d’officiers — armée, gendarmerie, police — chargé de superviser une refonte institutionnelle. Une promesse de reconstruction, portée par les armes, dans un pays où les ruptures politiques s’écrivent souvent en uniforme.
– La jeunesse fête la chute du régime –
Mardi soir, les équipes d’Andry Rajoelina ont quitté le palais présidentiel d’Iavoloha. La Haute cour constitutionnelle venait de déclarer la présidence vacante. Elle a invité le colonel Randrianirina à prendre la tête de l’État.
Depuis mardi, Antananarivo s’est vidée de ses soldats. Le Capsat a pris le pouvoir, sans résistance. Andry Rajoelina, renversé, affirme s’être réfugié dans un « lieu sûr ». Des médias le disent en fuite à l’étranger.
Antananarivo respire. Les barrages, installés depuis le 25 septembre, ont disparu. La vie quotidienne reprend son cours dans la capitale malgache.
Place du 13 mai, les blindés ont disparu. À leur place : une scène, Thiera Kougar et des duels de danse. Les pick-ups militaires ont cédé le terrain aux rythmes et aux verres levés.
« C’est pour célébrer le mouvement que la Gen Z a commencé. « Avant, on se faisait arrêter. Maintenant, on peut parler. » Fenitra Razafindramanga, 26 ans, capitaine de l’équipe nationale de rugby, célèbre ce droit retrouvé. Il est l’un des centaines de fêtards réunis dans la capitale.
– 22 morts dans les manifestations Gen Z –
Selon l’ONU, les manifestations ont fait au moins 22 morts et une centaine de blessés. Lancé par le collectif Gen Z, le mouvement dénonçait les coupures d’eau et d’électricité. Il s’est mué en contestation générale contre les dirigeants malgaches.
« On s’inquiète de la suite mais on savoure ce premier combat gagné qui nous a donné de l’espoir. « On continuera de se battre. » Fenitra Razafindramanga, chapeau Gen Z vissé sur la tête, ne lâche rien. Ancienne manifestante, elle incarne la persistance d’un mouvement né dans la rue.
La préoccupation locale fait écho à l’alerte internationale. Mercredi, l’Union africaine a suspendu Madagascar de ses instances, avec effet immédiat. Le signal est clair : la rupture institutionnelle inquiète au-delà des frontières.
Le nouvel homme fort de l’île a promis des élections dans 18 à 24 mois et assuré mercredi préparer un « processus de consultation pour trouver un Premier ministre le plus vite possible ».
En attendant, une cour s’est réunie à la direction du Capsat mercredi. Des représentants de collectif de jeunesse, de la société civile ou d’organisation religieuse ont été reçus. D’autres visiteurs ont patienté des heures dans l’espoir d’une audience ou pour afficher une visite de courtoisie.
– La Gen Z soutient l’armée –
Critique de longue date du pouvoir d’Andry Rajoelina, le colonel Randrianirina avait été emprisonné plusieurs mois à partir de novembre 2023 pour incitation à la mutinerie en vue d’un coup d’État, selon des informations de presse.
La présidence a dénoncé « un acte clair de tentative de coup d’État » et souligné qu’Andry Rajoelina, exfiltrée par un avion militaire français d’après RFI, « reste pleinement en fonction ».
Le secrétaire général de l’ONU, par la voix de son porte-parole Stéphane Dujarric, s’est dit « profondément préoccupé par le changement inconstitutionnel de pouvoir à Madagascar ».
La France, l’ex-puissance coloniale, a jugé mercredi « essentiel que la démocratie, les libertés fondamentales et l’État de droit soient scrupuleusement préservés ».
Le mouvement Gen Z mené par les jeunes, qui a initié les manifestations à partir du 25 septembre, a salué l’intervention du colonel Randrianirina.
Andry Rajoelina, réélu lors d’un scrutin contesté en 2023, était arrivé une première fois au pouvoir en 2009 à la faveur d’un coup d’État soutenu par l’armée, dénoncé par la communauté internationale. Celle-ci avait gelé l’aide étrangère et les investissements pendant près de quatre ans.
Madagascar a une longue histoire de soulèvements populaires suivis de la mise en place de gouvernements militaires de transition.
Au moins 80% des 32 millions d’habitants de Madagascar vivent avec moins de 15 000 ariary par jour (2,80 euros), le seuil de pauvreté fixé par la Banque mondiale.
Source: Agence France-Presse